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12 Juin 2025
LE MONDE MUNICIPAL EN CRISE AU NOUVEAU-BRUNSWICK
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Entrée en vigueur le 1er janvier 2023, la réforme de la gouvernance locale devait moderniser les structures municipales au Nouveau-Brunswick. Deux ans et demi plus tard, l’heure n’est plus à l’enthousiasme : démissions en série, fatigue des élus, instabilité des directions générales… Les signaux d’alarme se multiplient dans plusieurs communautés.
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Damien Dauphin
IJL – Réseau.Presse – Le Moniteur Acadien
Nées dans l’élan d’un grand chantier de réorganisation territoriale, les nouvelles municipalités ressemblent pour la plupart à un jeune oiseau qui peine à voler après avoir quitté le nid trop tôt.
À Champdoré, mi-avril, un double départ a fait l’effet d’un coup de tonnerre : la directrice générale, Tina Bitcon, et le maire, Jean-Pierre Richard, ont remis leur démission à deux jours d’intervalle.
Quelques mois plus tôt, c’est la communauté rurale de Beausoleil qui a connu une onde de choc. Une controverse linguistique avait créé un climat de tension : le maire Jean Hébert a quitté ses fonctions, suivi du directeur général Mathieu Gérald Caissie. Tous deux étaient épuisés et ont préféré quitter leurs fonctions plutôt que de courir le risque d’y laisser leur santé.
La situation est particulièrement complexe pour les fonctionnaires municipaux. Littéralement pris entre le marteau et l’enclume, ils doivent jongler entre les attentes des élus et les exigences de la population.
Une pression constante sur les directions générales
Depuis l’entrée en vigueur des nouvelles municipalités, les ressources humaines ont souffert sur ce plan-là. Directeur général de la Commission de services régionaux de Kent (CSR-Kent), Paul Lang estime que près de vingt directeurs généraux ont quitté leurs fonctions. Un chiffre inquiétant qui illustre la fragilité du tissu administratif local.
« Une mémoire corporative disparaît. Ça devient difficile pour les municipalités de conserver ce bagage institutionnel », a-t-il regretté lors d’un entretien téléphonique avec Le Moniteur acadien.
Selon lui, les attentes des citoyens vis-à-vis de leur nouveau gouvernement local sont souvent supérieures à ce que celui-ci est réellement en mesure d’offrir, surtout dans les municipalités de taille moyenne, où les moyens humains et financiers restent limités.
« Le métier n’a pas changé, résume-t-il. La seule chose qui a changé, c’est qu’on retrouve des gens qui font partie de nouvelles municipalités et leurs attentes par rapport à leur gouvernement local pourrait aller au-delà de ce que celui-ci peut leur fournir comme services. »
En vertu de leur mandat majoral, Jean Hébert et Jean-Pierre Richard siégeaient sur le conseil d’administration de la CSR-Kent. « Il y a une camaraderie qui se crée au sein du c.a., reconnaît Paul Lang, et c’est dommage de voir de bonnes personnes quitter leur poste. La décision qu’ils ont prise leur appartient et on ne s’immisce pas là-dedans. »
Une transition précipitée
Paul Lang a observé qu’à la faveur de la réforme, de nouveaux élus qui jusque-là n’avaient jamais siégé sur un conseil municipal se sont retrouvés seuls face à leurs nouvelles responsabilités. Dans certains cas, il y avait même des municipalités complètement nouvelles avec des directeurs généraux complètement nouveaux.
D’après lui, les municipalités ont vécu une cassure le 1er janvier 2023 lorsque l’appui que le gouvernement provincial leur apportait durant la transition avec les facilitateurs de changement a disparu du jour au lendemain. Il n’y avait plus personne pour accompagner les nouveaux élus dans leurs fonctions, comme un enfant auquel ses parents apprennent à marcher.
« Selon moi, le ministère a manqué à ses devoirs. Il y aurait dû y avoir une transition plus en douceur et davantage d’accompagnement », a-t-il noté.
Illustrant cette instabilité, la municipalité de Nouvelle-Arcadie en est déjà à sa troisième direction générale depuis sa création.
Un conseil dissout, une municipalité sous tutelle
Mathieu Gérald Caissie, après une période de repos, y est revenu aux affaires. Il a pris la relève de Monique Boucher, elle-même successeure d’Angèle McCaie, qui dirigeait auparavant Rogersville.
« Ce n’est pas un emploi qui est facile. Avec la réforme, c’est nouveau pour tout le monde. Rogersville avait 1200 habitants, Nouvelle-Arcadie en a 3000. C’est aussi un gros changement pour les employés municipaux. Il faut de la patience », a indiqué le maire de la municipalité, Jimmy Bourque.
Les municipalités acadiennes ne sont pas les seules à ressentir les effets négatifs de la réforme. Confronté aux démissions successives de plus de la moitié de ses membres, le conseil municipal de Strait Shore, municipalité qui englobe Port Elgin, Cape Tormentine et Baie Verte, a récemment été dissout par la Commission de la gouvernance locale.
Selon nos confrères du Times & Transcript, la Commission y a nommé un superviseur, Greg Lutes, pour en assurer l’intérim jusqu’au prochain scrutin municipal prévu le printemps prochain.
La faute à une société de plus en plus polarisée ?
Pour le politologue Mario Lévesque, professeur à l’Université Mount Allison, ces crises locales sont le reflet d’une société fragmentée, où le dialogue se délite.
« Le compromis est devenu un art perdu, tout comme les processus d’engagement citoyen. Les médias sociaux n’arrangent rien : les gens s’y défoulent sans filtre, et cela rejaillit sur nos réunions communautaires. »
Il plaide pour la création, dans les collèges et universités, de programmes de formation municipale, sous forme de mini-certificats.
« On devrait y apprendre à diriger une réunion, à participer de manière constructive, à créer un milieu de travail inclusif. Ces formations pourraient être données l’été ou réparties sur deux week-ends. »
À ses yeux, la solution passe par un retour aux fondamentaux de la démocratie locale et une culture politique renouvelée, plus collaborative et moins clivante.
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Damien Dauphin
IJL – Réseau.Presse – Le Moniteur Acadien
Nées dans l’élan d’un grand chantier de réorganisation territoriale, les nouvelles municipalités ressemblent pour la plupart à un jeune oiseau qui peine à voler après avoir quitté le nid trop tôt.
À Champdoré, mi-avril, un double départ a fait l’effet d’un coup de tonnerre : la directrice générale, Tina Bitcon, et le maire, Jean-Pierre Richard, ont remis leur démission à deux jours d’intervalle.
Quelques mois plus tôt, c’est la communauté rurale de Beausoleil qui a connu une onde de choc. Une controverse linguistique avait créé un climat de tension : le maire Jean Hébert a quitté ses fonctions, suivi du directeur général Mathieu Gérald Caissie. Tous deux étaient épuisés et ont préféré quitter leurs fonctions plutôt que de courir le risque d’y laisser leur santé.
La situation est particulièrement complexe pour les fonctionnaires municipaux. Littéralement pris entre le marteau et l’enclume, ils doivent jongler entre les attentes des élus et les exigences de la population.
Une pression constante sur les directions générales
Depuis l’entrée en vigueur des nouvelles municipalités, les ressources humaines ont souffert sur ce plan-là. Directeur général de la Commission de services régionaux de Kent (CSR-Kent), Paul Lang estime que près de vingt directeurs généraux ont quitté leurs fonctions. Un chiffre inquiétant qui illustre la fragilité du tissu administratif local.
« Une mémoire corporative disparaît. Ça devient difficile pour les municipalités de conserver ce bagage institutionnel », a-t-il regretté lors d’un entretien téléphonique avec Le Moniteur acadien.
Selon lui, les attentes des citoyens vis-à-vis de leur nouveau gouvernement local sont souvent supérieures à ce que celui-ci est réellement en mesure d’offrir, surtout dans les municipalités de taille moyenne, où les moyens humains et financiers restent limités.
« Le métier n’a pas changé, résume-t-il. La seule chose qui a changé, c’est qu’on retrouve des gens qui font partie de nouvelles municipalités et leurs attentes par rapport à leur gouvernement local pourrait aller au-delà de ce que celui-ci peut leur fournir comme services. »
En vertu de leur mandat majoral, Jean Hébert et Jean-Pierre Richard siégeaient sur le conseil d’administration de la CSR-Kent. « Il y a une camaraderie qui se crée au sein du c.a., reconnaît Paul Lang, et c’est dommage de voir de bonnes personnes quitter leur poste. La décision qu’ils ont prise leur appartient et on ne s’immisce pas là-dedans. »
Une transition précipitée
Paul Lang a observé qu’à la faveur de la réforme, de nouveaux élus qui jusque-là n’avaient jamais siégé sur un conseil municipal se sont retrouvés seuls face à leurs nouvelles responsabilités. Dans certains cas, il y avait même des municipalités complètement nouvelles avec des directeurs généraux complètement nouveaux.
D’après lui, les municipalités ont vécu une cassure le 1er janvier 2023 lorsque l’appui que le gouvernement provincial leur apportait durant la transition avec les facilitateurs de changement a disparu du jour au lendemain. Il n’y avait plus personne pour accompagner les nouveaux élus dans leurs fonctions, comme un enfant auquel ses parents apprennent à marcher.
« Selon moi, le ministère a manqué à ses devoirs. Il y aurait dû y avoir une transition plus en douceur et davantage d’accompagnement », a-t-il noté.
Illustrant cette instabilité, la municipalité de Nouvelle-Arcadie en est déjà à sa troisième direction générale depuis sa création.
Un conseil dissout, une municipalité sous tutelle
Mathieu Gérald Caissie, après une période de repos, y est revenu aux affaires. Il a pris la relève de Monique Boucher, elle-même successeure d’Angèle McCaie, qui dirigeait auparavant Rogersville.
« Ce n’est pas un emploi qui est facile. Avec la réforme, c’est nouveau pour tout le monde. Rogersville avait 1200 habitants, Nouvelle-Arcadie en a 3000. C’est aussi un gros changement pour les employés municipaux. Il faut de la patience », a indiqué le maire de la municipalité, Jimmy Bourque.
Les municipalités acadiennes ne sont pas les seules à ressentir les effets négatifs de la réforme. Confronté aux démissions successives de plus de la moitié de ses membres, le conseil municipal de Strait Shore, municipalité qui englobe Port Elgin, Cape Tormentine et Baie Verte, a récemment été dissout par la Commission de la gouvernance locale.
Selon nos confrères du Times & Transcript, la Commission y a nommé un superviseur, Greg Lutes, pour en assurer l’intérim jusqu’au prochain scrutin municipal prévu le printemps prochain.
La faute à une société de plus en plus polarisée ?
Pour le politologue Mario Lévesque, professeur à l’Université Mount Allison, ces crises locales sont le reflet d’une société fragmentée, où le dialogue se délite.
« Le compromis est devenu un art perdu, tout comme les processus d’engagement citoyen. Les médias sociaux n’arrangent rien : les gens s’y défoulent sans filtre, et cela rejaillit sur nos réunions communautaires. »
Il plaide pour la création, dans les collèges et universités, de programmes de formation municipale, sous forme de mini-certificats.
« On devrait y apprendre à diriger une réunion, à participer de manière constructive, à créer un milieu de travail inclusif. Ces formations pourraient être données l’été ou réparties sur deux week-ends. »
À ses yeux, la solution passe par un retour aux fondamentaux de la démocratie locale et une culture politique renouvelée, plus collaborative et moins clivante.
