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30 Janvier 2025
Des Acadiens dénoncent l’unilinguisme dans les commerces du sud-est
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«Sorry, I don’t speak French.» Combien de fois avons-nous entendu cette phrase alors que sollicitions un service commercial? De guerre lasse, une citoyenne de Cap-Acadie s’est adressée à son conseil municipal pour dénoncer cette situation et de tirer la sonnette d’alarme.
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Damien Dauphin
IJL – Réseau.Presse – Le Moniteur Acadien
Ginette Gallant est francophone et demeure dans la municipalité qui s’identifiait, au temps de Cap-Pelé, comme «le cœur de l’Acadie». Pour elle, il n’est pas normal qu’elle ne puisse recevoir un service dans sa langue maternelle, à plus forte raison si celui-ci n’implique que peu de mots d’usage courant et simples à répéter.
«Quand tu sers du café toute la journée et que tu ne sais pas ce que veut dire un café, un lait et deux sucres, je pense que c’est parce que la personne ne veut pas faire d’effort», s’est-elle plainte aux élus de Cap-Acadie après une mésaventure linguistique dans une enseigne canadienne très populaire.
Selon Mme Gallant, l’intégration des nouveaux arrivants, qu’il s’agisse d’immigrés fraîchement débarqués dans la région ou de Canadiens ayant changé de province de résidence, passe par l’apprentissage de la langue principale de leur nouveau milieu de vie.
«Je crois qu’il est temps que les gens de Cap-Pelé mettent leur pied à terre. On est fiers d’être bilingues, mais on est aussi fiers de parler français. Je comprends qu’à Moncton, on a plus de 50% de chance de se faire servir en anglais, mais pas dans la région de Cap-Acadie.»
L’immigration anglophone pointée du doigt
Une telle expérience n’est pas étrangère à Luc Swanson qui a dénoncé à plusieurs reprises l’anglicisation galopante dans les commerces de Dieppe. Il partage le point de vue de Ginette Gallant. Selon lui, l’immigration non francophone est un « fléau » au sud-est et amoindrit le poids démographique des locuteurs en français. Il ne mâche pas ses mots et considère que les élus locaux ont des œillères.
«Combien de fois ai-je entendu Yvon Lapierre dire qu’à Dieppe il y a une belle qualité de vie en français? C’est complètement faux si on est unilingue francophone. Je me suis présenté devant le conseil de ville de Dieppe en juin 2022 pour me plaindre du manque de services en français, et le maire m’a répondu : gardez votre argent dans vos poches!», déplore M. Swanson en soulignant que la situation se serait encore dégradée depuis deux ans.
Selon le fondateur du Cercle acadien de la langue française, Mathieu Gérald Caissie, les plaintes de plus en plus nombreuses de citoyens qui ne réussissent pas à recevoir un service en français dans certains commerces, surtout dans les chaines de restauration rapide et chez les dépanneurs, semble être le résultat d’une nouvelle immigration qui n’est en mesure d’offrir un service qu’en anglais.
Il se dit très préoccupé par cette situation car de nombreux Acadiens délaissent déjà leur habitude de demander un service en français. « Après plusieurs échecs consécutifs, ils prennent ainsi l’habitude de commander directement en anglais. Cette malheureuse tendance supprime des années d’efforts de conscientisation sur l’importance de demander un service en français », constate-t-il.
La chambre de commerce ne peut rien imposer
S’agissant d’entreprises privées, le maire de Cap-Acadie a rétorqué à Mme Gallant qu’il n’avait pas de réponse magique à lui donner. L’édile a suggéré que la Chambre de commerce Cap-Acadie (CCCAcadie) aurait peut-être un rôle à jouer dans la résolution de ce problème de plus en plus récurrent.
Selon la CCCAcadie, près de 5% des entreprises situées dans la région de Cap-Acadie ne sont pas en mesure d’offrir un service bilingue ou, à tout le moins, en français. Ce pourcentage est demeuré stable au cours des cinq dernières années.
Anthony Azard rappelle que les entreprises font face à des défis croissants liés à la pénurie de main-d’œuvre, particulièrement dans des secteurs spécifiques comme le commerce de détail et la restauration. La rareté de la main-d'œuvre canadienne force les employeurs à recruter des travailleurs unilingues anglophones, parfois à l'international.
«Pour sa part, la Chambre de commerce Cap-Acadie rappelle qu’elle n’a pas le mandat d’imposer des pratiques ou des mesures à ses membres , a-t-il également clarifié dans un communiqué.
Réformer l’assurance-emploi?
Alors que le maire Serge Léger a émis l’idée que le CAFi pourrait lui aussi jouer un rôle dans l’enseignement du français aux nouveaux arrivants non francophones, M. Azard a précisé que l’organisme d’accueil et d’intégration des étrangers n’était pas une école de langues. Son rayon d’action est donc limité.
Le PDG de la chambre de commerce plaide plutôt pour une réforme de l’assurance-emploi afin de permettre aux travailleurs saisonniers d’occuper un emploi secondaire durant l’intersaison.
«En offrant aux travailleurs saisonniers la possibilité d’explorer des opportunités d’emploi complémentaires, on favorise leur épanouissement professionnel tout en soutenant les employeurs locaux dans leur quête de main-d’œuvre qualifiée, mais surtout en français», affirme-t-il.
Il fera de la réforme de l’assurance-emploi le cheval de bataille de la Chambre de commerce Cap-Acadie en 2025.
UNE RAISON DE PLUS DE PROTÉGER LE FAIT FRANÇAIS
L’ancien directeur général de la Communauté rurale de Beausoleil a fait de la défense de la langue française en Acadie du Nouveau-Brunswick le combat de sa vie. S’agissant de Cap-Acadie, Mathieu Gérald Caissie souligne toutefois que la communauté de Cap-Pelé est l’un des bons exemples de réussite pour le fait français, notamment avec une majorité de commerces qui s’affichent déjà en français seulement ou bilingue.
Le militant francophone dit qu’il est nécessaire d’identifier le français en tant que langue prédominante et officielle dans certaines municipalités et régions spécifiques. Il estime que le gouvernement provincial devrait tirer profit de modifications à venir de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick pour aider les communautés acadiennes à renverser la vapeur en faveur d’un développement global positif et porteur d’avenir pour la francophonie acadienne.
«Cette nouvelle pression assimilatrice nécessite des mesures fortes pour protéger et encourager le fait français, notamment par l’intermédiaire d’arrêtés sur l’affichage commercial en français et l’adoption de politiques culturelles et linguistiques par les municipalités», avance le fondateur du Cercle acadien de la langue française, dont la prochaine conférence aura lieu le mars.
PARLER EN FRANÇAIS PRÉSERVE DES EMPLOIS
Imaginez le Nouveau-Brunswick et le Canada adopter l’anglais comme seule langue officielle. C’est un rêve pour certains, mais un cauchemar pour d’autres.
«Je me suis fait dire quelquefois: monsieur, vous parlez bien en anglais, alors pourquoi voulez-vous avoir du service en français?», relate Luc Swanson.
Le Dieppois enjoint ses concitoyens francophones à faire usage systématiquement de la langue française. Selon son expérience, demander et exiger le service en français est une démarche qui crée et sauvegarde des emplois pour les francophones.
«J’en parle en connaissance de cause, dit-il. Si tous les francophones du pays n’avaient pas demandé à Revenu Canada de la correspondance en français, je n’aurais pas travaillé pour cette agence.»
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Damien Dauphin
IJL – Réseau.Presse – Le Moniteur Acadien
Ginette Gallant est francophone et demeure dans la municipalité qui s’identifiait, au temps de Cap-Pelé, comme «le cœur de l’Acadie». Pour elle, il n’est pas normal qu’elle ne puisse recevoir un service dans sa langue maternelle, à plus forte raison si celui-ci n’implique que peu de mots d’usage courant et simples à répéter.
«Quand tu sers du café toute la journée et que tu ne sais pas ce que veut dire un café, un lait et deux sucres, je pense que c’est parce que la personne ne veut pas faire d’effort», s’est-elle plainte aux élus de Cap-Acadie après une mésaventure linguistique dans une enseigne canadienne très populaire.
Selon Mme Gallant, l’intégration des nouveaux arrivants, qu’il s’agisse d’immigrés fraîchement débarqués dans la région ou de Canadiens ayant changé de province de résidence, passe par l’apprentissage de la langue principale de leur nouveau milieu de vie.
«Je crois qu’il est temps que les gens de Cap-Pelé mettent leur pied à terre. On est fiers d’être bilingues, mais on est aussi fiers de parler français. Je comprends qu’à Moncton, on a plus de 50% de chance de se faire servir en anglais, mais pas dans la région de Cap-Acadie.»
L’immigration anglophone pointée du doigt
Une telle expérience n’est pas étrangère à Luc Swanson qui a dénoncé à plusieurs reprises l’anglicisation galopante dans les commerces de Dieppe. Il partage le point de vue de Ginette Gallant. Selon lui, l’immigration non francophone est un « fléau » au sud-est et amoindrit le poids démographique des locuteurs en français. Il ne mâche pas ses mots et considère que les élus locaux ont des œillères.
«Combien de fois ai-je entendu Yvon Lapierre dire qu’à Dieppe il y a une belle qualité de vie en français? C’est complètement faux si on est unilingue francophone. Je me suis présenté devant le conseil de ville de Dieppe en juin 2022 pour me plaindre du manque de services en français, et le maire m’a répondu : gardez votre argent dans vos poches!», déplore M. Swanson en soulignant que la situation se serait encore dégradée depuis deux ans.
Selon le fondateur du Cercle acadien de la langue française, Mathieu Gérald Caissie, les plaintes de plus en plus nombreuses de citoyens qui ne réussissent pas à recevoir un service en français dans certains commerces, surtout dans les chaines de restauration rapide et chez les dépanneurs, semble être le résultat d’une nouvelle immigration qui n’est en mesure d’offrir un service qu’en anglais.
Il se dit très préoccupé par cette situation car de nombreux Acadiens délaissent déjà leur habitude de demander un service en français. « Après plusieurs échecs consécutifs, ils prennent ainsi l’habitude de commander directement en anglais. Cette malheureuse tendance supprime des années d’efforts de conscientisation sur l’importance de demander un service en français », constate-t-il.
La chambre de commerce ne peut rien imposer
S’agissant d’entreprises privées, le maire de Cap-Acadie a rétorqué à Mme Gallant qu’il n’avait pas de réponse magique à lui donner. L’édile a suggéré que la Chambre de commerce Cap-Acadie (CCCAcadie) aurait peut-être un rôle à jouer dans la résolution de ce problème de plus en plus récurrent.
Selon la CCCAcadie, près de 5% des entreprises situées dans la région de Cap-Acadie ne sont pas en mesure d’offrir un service bilingue ou, à tout le moins, en français. Ce pourcentage est demeuré stable au cours des cinq dernières années.
Anthony Azard rappelle que les entreprises font face à des défis croissants liés à la pénurie de main-d’œuvre, particulièrement dans des secteurs spécifiques comme le commerce de détail et la restauration. La rareté de la main-d'œuvre canadienne force les employeurs à recruter des travailleurs unilingues anglophones, parfois à l'international.
«Pour sa part, la Chambre de commerce Cap-Acadie rappelle qu’elle n’a pas le mandat d’imposer des pratiques ou des mesures à ses membres , a-t-il également clarifié dans un communiqué.
Réformer l’assurance-emploi?
Alors que le maire Serge Léger a émis l’idée que le CAFi pourrait lui aussi jouer un rôle dans l’enseignement du français aux nouveaux arrivants non francophones, M. Azard a précisé que l’organisme d’accueil et d’intégration des étrangers n’était pas une école de langues. Son rayon d’action est donc limité.
Le PDG de la chambre de commerce plaide plutôt pour une réforme de l’assurance-emploi afin de permettre aux travailleurs saisonniers d’occuper un emploi secondaire durant l’intersaison.
«En offrant aux travailleurs saisonniers la possibilité d’explorer des opportunités d’emploi complémentaires, on favorise leur épanouissement professionnel tout en soutenant les employeurs locaux dans leur quête de main-d’œuvre qualifiée, mais surtout en français», affirme-t-il.
Il fera de la réforme de l’assurance-emploi le cheval de bataille de la Chambre de commerce Cap-Acadie en 2025.
UNE RAISON DE PLUS DE PROTÉGER LE FAIT FRANÇAIS
L’ancien directeur général de la Communauté rurale de Beausoleil a fait de la défense de la langue française en Acadie du Nouveau-Brunswick le combat de sa vie. S’agissant de Cap-Acadie, Mathieu Gérald Caissie souligne toutefois que la communauté de Cap-Pelé est l’un des bons exemples de réussite pour le fait français, notamment avec une majorité de commerces qui s’affichent déjà en français seulement ou bilingue.
Le militant francophone dit qu’il est nécessaire d’identifier le français en tant que langue prédominante et officielle dans certaines municipalités et régions spécifiques. Il estime que le gouvernement provincial devrait tirer profit de modifications à venir de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick pour aider les communautés acadiennes à renverser la vapeur en faveur d’un développement global positif et porteur d’avenir pour la francophonie acadienne.
«Cette nouvelle pression assimilatrice nécessite des mesures fortes pour protéger et encourager le fait français, notamment par l’intermédiaire d’arrêtés sur l’affichage commercial en français et l’adoption de politiques culturelles et linguistiques par les municipalités», avance le fondateur du Cercle acadien de la langue française, dont la prochaine conférence aura lieu le mars.
PARLER EN FRANÇAIS PRÉSERVE DES EMPLOIS
Imaginez le Nouveau-Brunswick et le Canada adopter l’anglais comme seule langue officielle. C’est un rêve pour certains, mais un cauchemar pour d’autres.
«Je me suis fait dire quelquefois: monsieur, vous parlez bien en anglais, alors pourquoi voulez-vous avoir du service en français?», relate Luc Swanson.
Le Dieppois enjoint ses concitoyens francophones à faire usage systématiquement de la langue française. Selon son expérience, demander et exiger le service en français est une démarche qui crée et sauvegarde des emplois pour les francophones.
«J’en parle en connaissance de cause, dit-il. Si tous les francophones du pays n’avaient pas demandé à Revenu Canada de la correspondance en français, je n’aurais pas travaillé pour cette agence.»
