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2 Avril 2025
Disparition de Marguerite Maillet à l’âge de 101 ans : le monde littéraire acadien en deuil
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Dix jours après avoir été décorée de l’ordre des Arts et des Lettres par la France, Marguerite Maillet a poussé son dernier soupir au Faubourg du Mascaret, à Moncton. Elle avait fêté son 101e anniversaire le 17 mars. La communauté culturelle pleure l’éducatrice et passeuse de mémoire qui avait fondé les éditions Bouton d’Or Acadie il y a près de trente ans.
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Damien Dauphin
IJL – Réseau.Presse – Le Moniteur Acadien
Méconnaissable, Marguerite Maillet était apparue frêle et diminuée sur une vidéo tournée le 16 mars dernier lorsque le consul général de France lui a remis ce qui devait être la dernière distinction de sa longue et fructueuse existence. À l’annonce de son décès, Bertrand Cahuet n’a pu dissimuler sa tristesse.
«Je ne peux qu’avouer combien j’ai été ému lors de cette cérémonie, touché par sa propre émotion à recevoir cette reconnaissance de la France, et par celle de ses proches, sa nièce Jeannita Richard et sa famille, auxquels je veux transmettre ma profonde sympathie», a écrit le diplomate sur son réseau social.
Coordonnateur de la revue acadienne de création littéraire Ancrages, Sébastien Lord-Émard préfère se souvenir de Marguerite Maillet telle qu’elle était en 2012 lorsque Louise Imbeault et Marie Cadieux lui ont racheté la maison d’édition Bouton d’or Acadie, qu’elle avait fondée en 1996.
«En novembre 2013, alors que je travaillais pour Bouton d'or Acadie depuis à peine cinq ou six mois, nous nous étions rendus au Salon du livre de Montréal, où Madame Maillet avait été célébrée par ses pairs du monde de l'édition et des lettres. Je n'en revenais pas de comment elle était très respectée dans le milieu, au-delà de l'Acadie», se remémore-t-il.
Marguerite Maillet avait depuis longtemps gagné l’amour et le respect de sa communauté d’origine.
«Je ne dirai jamais assez à quel point je l’ai admirée et je la remercie pour tout ce qu’elle a accompli pour notre belle Acadie. Au-delà d’avoir enseigné la littérature acadienne à l’Université de Moncton, elle sera éternellement à mes yeux notre Bouton d’or», a déclaré Serge Rousselle.
La littérature : un plaisir et une récompense
Si Marguerite Maillet était à ce point aimée, c’est parce qu’elle diffusait l’amour et la bienveillance autour d’elle. Aimant et respectant ses élèves et les étudiants en général, elle leur a toujours réservé une place de choix dans ses projets. L’enseignante avait une opinion bien arrêtée sur les bienfaits de la littérature dans le cursus scolaire.
«Si dans nos écoles, on pouvait faire de l’enseignement et de la lecture des textes acadiens un plaisir et parfois une sorte de récompense au lieu d’une obligation, comme ce serait beau!», avait-elle déclaré en 1979 lors de la Réunion annuelle de la Société historique acadienne.
En 1983, à Québec, c’est de la façon suivante qu’elle avait présenté son ‘Histoire de la littérature acadienne : de rêve en rêve’. «Je me suis mise à l’écoute de mes auteurs, et je les ai laissés parler. Or, il se trouve que presque tous parlent de leur pays, l’Acadie, de leurs luttes, leurs déceptions, leurs aspirations, leurs rêves.»
«La littérature acadienne colle à l’histoire, poursuivait la future fondatrice de Bouton d’or Acadie. Elle est une succession de rêves, ou plutôt, elle se résume à un grand espoir, celui d’un avenir meilleur.»
Une « petite géante » impressionnante
Sébastien Lord-Émard ne fait pas mystère de l’admiration qu’il éprouve pour la défunte. Il reconnaît qu’au départ, elle lui faisait un peu peur malgré son sourire. Il la trouvait «étonnamment moderne», mais aussi fière, bienveillante, bien mise et «allumée». C’était une «petite géante» qui en imposait et qui l’impressionnait.
«Il faut imaginer cette religieuse éducatrice puis professeure d'université devenir femme d'affaires à 72 ans, au moment de fonder sa maison d'édition, encore aujourd'hui la seule consacrée à la jeunesse hors du Québec. Et l'imaginer être une pionnière au Canada dans la numérisation de son catalogue alors qu'elle avait dépassé 80 ans! Il faut l'imaginer en train de se rendre partout pour faire connaître la littérature jeunesse acadienne.»
Marie Cadieux, qui a pris la relève de l'éditrice en 2012, se souvient avec émotion qu’elle voyait Marguerite Maillet entourée d’enfants à qui elle lisait des contes dans une atmosphère nimbée de magie. «Je vois une enfant, bouche bée. Cette enfant-là n’écrira peut-être jamais une ligne, et peut-être que ce jeune garçon ne lira pas nécessairement des romans jusqu’à la fin de ses jours, mais ils auront été touchés par une grâce, par une capacité d’émerveillement… C’est ce que je retiens le plus de Marguerite: la capacité de croire au pouvoir des histoires et du travail auprès de la jeunesse.»
Le grand livre de la vie de Marguerite Maillet s’est refermé, mais celui de son éternité vient de s’ouvrir. Laissons-lui le mot de la fin, celui qui ouvre des commencements : «Le plus beau cadeau qu’on puisse offrir aux enfants et aux jeunes, c’est un livre. Parce qu’un jeune qui a le goût de lire est un jeune qui aura le goût de vivre.»
MARGUERITE MAILLET (1924-2025)
Marguerite Maillet est née le 17 mars 1924 à Saint-Norbert (comté de Kent). Entrée chez les religieuses Notre-Dame-du-Sacré-Cœur en 1943, elle a obtenu son brevet d’enseignement en 1945 au couvent Saint-Joseph de Memramcook où elle a enseigné de 1945 à 1949. Par la suite, elle a poursuivi sa carrière d’éducatrice au Collège Notre-Dame d’Acadie à Moncton, de son ouverture en 1949 à 1964, puis dans différentes écoles. En 1968, elle a quitté les ordres et fut engagée à titre d’enseignante de littérature française à la nouvelle École Normale de Moncton où elle a exercé jusqu’en 1970.
Elle découvrit la littérature canadienne-française en suivant ses cours de maîtrise à l’Université de Moncton, diplôme qu’elle obtint en 1971. Elle s’inscrivit alors au doctorat à l’Université d’Ottawa. René Dionne l’orienta vers un sujet acadien. Elle soutint son doctorat en 1982 et en publia l’essentiel sous le titre Histoire de la littérature acadienne : de rêve en rêve en 1983, complétant ainsi Anthologie de textes littéraires acadiens, 1606-1975, qu’elle avait préparée avec Gérard LeBlanc et Bernard Émont en 1979.
En 1973, elle fut engagée par l’Université de Moncton et participa au développement de cours sur la littérature acadienne. En 1987, elle devint titulaire de la Chaire d’études acadiennes. Elle prit sa retraite en 1990. Constatant la rareté des livres acadiens pour la jeunesse, elle fonda les Éditions Bouton d’or Acadie en 1996, qu’elle céda à Louise Imbeault et Marie Cadieux en 2012.
En 2006, L’alUMni de l'Université de Moncton lui a décerné l’Ordre du mérite des diplômés et diplômées pour son engagement exceptionnel envers la jeunesse et la culture acadienne.
En signe de respect, l'Université de Moncton mettra ses drapeaux en berne à l'occasion de ses funérailles qui seront célébrées mardi 8 avril à 11h, au Centre funéraire Frenette, 88 rue Church à Moncton.
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Damien Dauphin
IJL – Réseau.Presse – Le Moniteur Acadien
Méconnaissable, Marguerite Maillet était apparue frêle et diminuée sur une vidéo tournée le 16 mars dernier lorsque le consul général de France lui a remis ce qui devait être la dernière distinction de sa longue et fructueuse existence. À l’annonce de son décès, Bertrand Cahuet n’a pu dissimuler sa tristesse.
«Je ne peux qu’avouer combien j’ai été ému lors de cette cérémonie, touché par sa propre émotion à recevoir cette reconnaissance de la France, et par celle de ses proches, sa nièce Jeannita Richard et sa famille, auxquels je veux transmettre ma profonde sympathie», a écrit le diplomate sur son réseau social.
Coordonnateur de la revue acadienne de création littéraire Ancrages, Sébastien Lord-Émard préfère se souvenir de Marguerite Maillet telle qu’elle était en 2012 lorsque Louise Imbeault et Marie Cadieux lui ont racheté la maison d’édition Bouton d’or Acadie, qu’elle avait fondée en 1996.
«En novembre 2013, alors que je travaillais pour Bouton d'or Acadie depuis à peine cinq ou six mois, nous nous étions rendus au Salon du livre de Montréal, où Madame Maillet avait été célébrée par ses pairs du monde de l'édition et des lettres. Je n'en revenais pas de comment elle était très respectée dans le milieu, au-delà de l'Acadie», se remémore-t-il.
Marguerite Maillet avait depuis longtemps gagné l’amour et le respect de sa communauté d’origine.
«Je ne dirai jamais assez à quel point je l’ai admirée et je la remercie pour tout ce qu’elle a accompli pour notre belle Acadie. Au-delà d’avoir enseigné la littérature acadienne à l’Université de Moncton, elle sera éternellement à mes yeux notre Bouton d’or», a déclaré Serge Rousselle.
La littérature : un plaisir et une récompense
Si Marguerite Maillet était à ce point aimée, c’est parce qu’elle diffusait l’amour et la bienveillance autour d’elle. Aimant et respectant ses élèves et les étudiants en général, elle leur a toujours réservé une place de choix dans ses projets. L’enseignante avait une opinion bien arrêtée sur les bienfaits de la littérature dans le cursus scolaire.
«Si dans nos écoles, on pouvait faire de l’enseignement et de la lecture des textes acadiens un plaisir et parfois une sorte de récompense au lieu d’une obligation, comme ce serait beau!», avait-elle déclaré en 1979 lors de la Réunion annuelle de la Société historique acadienne.
En 1983, à Québec, c’est de la façon suivante qu’elle avait présenté son ‘Histoire de la littérature acadienne : de rêve en rêve’. «Je me suis mise à l’écoute de mes auteurs, et je les ai laissés parler. Or, il se trouve que presque tous parlent de leur pays, l’Acadie, de leurs luttes, leurs déceptions, leurs aspirations, leurs rêves.»
«La littérature acadienne colle à l’histoire, poursuivait la future fondatrice de Bouton d’or Acadie. Elle est une succession de rêves, ou plutôt, elle se résume à un grand espoir, celui d’un avenir meilleur.»
Une « petite géante » impressionnante
Sébastien Lord-Émard ne fait pas mystère de l’admiration qu’il éprouve pour la défunte. Il reconnaît qu’au départ, elle lui faisait un peu peur malgré son sourire. Il la trouvait «étonnamment moderne», mais aussi fière, bienveillante, bien mise et «allumée». C’était une «petite géante» qui en imposait et qui l’impressionnait.
«Il faut imaginer cette religieuse éducatrice puis professeure d'université devenir femme d'affaires à 72 ans, au moment de fonder sa maison d'édition, encore aujourd'hui la seule consacrée à la jeunesse hors du Québec. Et l'imaginer être une pionnière au Canada dans la numérisation de son catalogue alors qu'elle avait dépassé 80 ans! Il faut l'imaginer en train de se rendre partout pour faire connaître la littérature jeunesse acadienne.»
Marie Cadieux, qui a pris la relève de l'éditrice en 2012, se souvient avec émotion qu’elle voyait Marguerite Maillet entourée d’enfants à qui elle lisait des contes dans une atmosphère nimbée de magie. «Je vois une enfant, bouche bée. Cette enfant-là n’écrira peut-être jamais une ligne, et peut-être que ce jeune garçon ne lira pas nécessairement des romans jusqu’à la fin de ses jours, mais ils auront été touchés par une grâce, par une capacité d’émerveillement… C’est ce que je retiens le plus de Marguerite: la capacité de croire au pouvoir des histoires et du travail auprès de la jeunesse.»
Le grand livre de la vie de Marguerite Maillet s’est refermé, mais celui de son éternité vient de s’ouvrir. Laissons-lui le mot de la fin, celui qui ouvre des commencements : «Le plus beau cadeau qu’on puisse offrir aux enfants et aux jeunes, c’est un livre. Parce qu’un jeune qui a le goût de lire est un jeune qui aura le goût de vivre.»
MARGUERITE MAILLET (1924-2025)
Marguerite Maillet est née le 17 mars 1924 à Saint-Norbert (comté de Kent). Entrée chez les religieuses Notre-Dame-du-Sacré-Cœur en 1943, elle a obtenu son brevet d’enseignement en 1945 au couvent Saint-Joseph de Memramcook où elle a enseigné de 1945 à 1949. Par la suite, elle a poursuivi sa carrière d’éducatrice au Collège Notre-Dame d’Acadie à Moncton, de son ouverture en 1949 à 1964, puis dans différentes écoles. En 1968, elle a quitté les ordres et fut engagée à titre d’enseignante de littérature française à la nouvelle École Normale de Moncton où elle a exercé jusqu’en 1970.
Elle découvrit la littérature canadienne-française en suivant ses cours de maîtrise à l’Université de Moncton, diplôme qu’elle obtint en 1971. Elle s’inscrivit alors au doctorat à l’Université d’Ottawa. René Dionne l’orienta vers un sujet acadien. Elle soutint son doctorat en 1982 et en publia l’essentiel sous le titre Histoire de la littérature acadienne : de rêve en rêve en 1983, complétant ainsi Anthologie de textes littéraires acadiens, 1606-1975, qu’elle avait préparée avec Gérard LeBlanc et Bernard Émont en 1979.
En 1973, elle fut engagée par l’Université de Moncton et participa au développement de cours sur la littérature acadienne. En 1987, elle devint titulaire de la Chaire d’études acadiennes. Elle prit sa retraite en 1990. Constatant la rareté des livres acadiens pour la jeunesse, elle fonda les Éditions Bouton d’or Acadie en 1996, qu’elle céda à Louise Imbeault et Marie Cadieux en 2012.
En 2006, L’alUMni de l'Université de Moncton lui a décerné l’Ordre du mérite des diplômés et diplômées pour son engagement exceptionnel envers la jeunesse et la culture acadienne.
En signe de respect, l'Université de Moncton mettra ses drapeaux en berne à l'occasion de ses funérailles qui seront célébrées mardi 8 avril à 11h, au Centre funéraire Frenette, 88 rue Church à Moncton.
