Nos seins : entre beauté, maternité et vulnérabilité face au cancer
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À 26 ans, je me trouve à un croisement singulier dans ma manière de voir mes seins. Longtemps, ils ont été pour moi un symbole de féminité, de beauté et une preuve de passage vers l’âge adulte.
Adolescente, j’attendais avec impatience qu’ils poussent, surtout en voyant mes amies se développer plus vite que moi. Je voulais porter un soutien-gorge, sentir que mon corps confirmait intérieurement que je suis une femme, une vraie femme!
Mais une fois venus, une autre question est apparue : celle de l’apparence. Pourquoi les seins ne sont-ils pas tous les mêmes ?
Certains pointus, d’autres tombants, certains petits, d’autres volumineux…
Dans mon Mali natal, leurs formes sont souvent associées à celles des animaux: «seins de chèvre», «seins de vache», «seins de singe». Ce langage populaire n’était pas moqueur, mais était plus une manière imagée de décrire sans montrer. Un temps, cela m’a complexée, car je ne me reconnaissais dans aucune catégorie. Puis, peu à peu, j’ai appris à aimer mes seins tels qu’ils sont: uniques, précieux et une part très précieuse de moi.
Aujourd’hui, enceinte de mon tout premier trésor, mon regard change encore. Mes seins ne sont plus seulement liés à l’esthétique ou au désir: ils deviennent une source de vie. S’ils le peuvent, ils nourriront, transmettront, protégeront. Ils quittent le registre du «sexy» pour entrer dans celui de la maternité.
En y repensant, je comprends que cette dimension a toujours existé. Je me souviens de mes tantes et mère, capables de dégager un sein sans gêne, au marché ou dans les transports, pour allaiter leur bébé. Elles vivaient naturellement ce lien entre féminité et maternité, pleinement assumé.
Mais à cette étape nouvelle d’une vie, une nouvelle réalité s’impose: la vulnérabilité. Car le sein, symbole de beauté et de vie, peut se transformer en vestige fragile: le théâtre possible de la maladie !
Le simple fait d’évoquer le cancer du sein m’ébranle.
Comment réagirais-je si j’étais directement confrontée à cette réalité? Comment les femmes de mon âge, notamment celles issues de l’immigration, naviguant dans un système de santé différent, perçoivent-elles cette menace?
C’est au carrefour de ces réflexions que s’inscrit cette lettre, en lien avec Octobre Rose, un mois de sensibilisation qui rappelle l’importance du dépistage et de la prévention.
Octobre Rose : une mobilisation mondiale
Le mois de sensibilisation au cancer du sein a vu le jour en 1985, fruit d’un partenariat entre la Société américaine du cancer et l’Imperial Chemical Industries Pharmaceuticals (désormais intégré à AstraZeneca), un mastodonte de l’industrie pharmaceutique spécialisée dans les traitements anticancéreux. Depuis, chaque année, le mois d’octobre est une véritable effervescence de manifestations en tous genres, destinées à convaincre les femmes de se faire dépister et à magnifier les survivantes.
En 1991, la fondation Susan G. Komen distribua pour la première fois des rubans roses lors d’une course à New York. Le ruban devint rapidement un symbole universel de solidarité et de mobilisation.
Au fil des années, la campagne s’est étendue au Canada. Chaque mois d’octobre, membres de la communauté, associations et gouvernements redoublent d’efforts pour informer, prévenir et encourager le dépistage précoce.
Mais que pensent les femmes, à différents âges de leur vie, face à cette maladie ?
- Mariam, 21 ans, arrivée de Guinée au Canada en 2023, avoue que le cancer du sein n’a jamais été une préoccupation pour elle:
J’y pense seulement en octobre, quand tout le monde porte du rose. Je ne sais même pas comment se fait le dépistage ici, mais je vais me renseigner.»
Son témoignage illustre la réalité de nombreuses jeunes femmes, souvent éloignées des démarches de prévention.
- Julia, 48 ans, originaire du Cameroun et résidente au Nouveau-Brunswick depuis 22 ans, a pris conscience de l’importance du dépistage à 42 ans, lors du suivi de sa dernière grossesse, qui fut une surprise pour elle. Depuis, elle se fait examiner régulièrement et encourage son entourage à faire de même:
«Beaucoup pensent, à tort, que le cancer du sein ne concerne que les femmes âgées. Mais il peut arriver à tout moment.»
Ce que disent les chiffres
Selon le gouvernement du Nouveau-Brunswick, le cancer du sein est le plus fréquemment diagnostiqué chez les femmes et représente la deuxième cause de décès par cancer. Chaque année, 625 nouveaux cas et 125 décès sont enregistrés.
Le programme de dépistage offre une mammographie gratuite :
- Tous les 1 à 2 ans pour les personnes de 40 à 49 ans,
- Tous les 2 à 3 ans pour les personnes de 50 à 74 ans,
- Au-delà de 74 ans, sur recommandation médicale.
Ces tests permettent de détecter la maladie tôt et d’augmenter les chances de guérison.
Notre rôle, même jeunes
En tant que jeunes femmes, même si nous ne sommes pas encore directement concernées par le dépistage, nous jouons un rôle qui est naturellement préventif et essentiel:
- Parler de cette réalité autour de nous,
- Écouter les témoignages de celles qui en font l’expérience,
- Accompagner nos mères, tantes, sœurs et amies dans leurs démarches.
En tant que femmes immigrantes, il est encore plus important d’oser poser des questions, car le système de santé peut sembler complexe, mais les professionnels sont là pour nous guider et nous soutenir.
À mes seins
Chères partenaires,
Vous avez traversé tant de méandres avec moi, de l’impatience de l’adolescence aux questionnements sur la beauté, de la douceur de la maternité aux mystères des cycles de la vie.
Vous portez mes émotions, mes espoirs, mes forces et mes fragilités.
Je vous aime.
Je vous respecte.
Je prends soin de vous, je veille sur vous.
Et si un jour la maladie venait frapper à votre porte, je vous promets de me battre pour vous, de ne jamais vous abandonner, de faire honneur à tout ce que vous représentez: beauté, vie, maternité et résilience.
Parce qu’au fond, nous sommes invincibles ensemble.
