
Éditorial
4 Juin 2025
Un pays, plusieurs peuples, une Couronne
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Damien Dauphin
damien@moniteuracadien.ca
Il était une fois une histoire que les manuels scolaires n’enseignent pas.
Imaginons un instant que la Guerre de Sept Ans ait tourné à l’avantage des Français. Les Britanniques, défaits, cèdent le Canada à la Couronne de France. Fort de cette victoire, le royaume de Louis XV, désormais prospère grâce aux ressources nord-américaines et à ses comptoirs des Indes, n’éprouve nul besoin de prendre sa revanche sur la Grande-Bretagne en soutenant les insurgés américains dans leur lutte pour l’indépendance. Les caisses de l’État sont pleines, la marine royale domine les mers, et nul ne songe à convoquer les États-Généraux. La Révolution n’éclate pas. Louis XVI ne monte jamais sur l’échafaud.
Deux siècles plus tard, ce n’est pas en pas en tant que roi de France que son lointain successeur, se présente à Ottawa pour y lire le discours du trône d’un gouvernement nouvellement élu, mais bien en roi du Canada. D’un océan à l’autre, la majorité francophone acclame son souverain d’un vibrant Vive le roi !, tandis que les anglophones, minoritaires, s’agitent dans l’Ouest. Trois référendums manqués plus tard, les indépendantistes albertains réclament désormais leur rattachement à la république voisine, celle d’un certain Donald Trump.
Bien entendu, tout ceci est une fiction — une uchronie. Une pure inversion des rôles, fondée sur un simple « et si ». Elle comporte d’ailleurs une petite erreur, car l’Alberta tire son nom du prince consort Albert de Saxe-Cobourg, époux de la reine Victoria. Dans un Canada resté français, la province aurait porté un tout autre nom.
Cet exercice d’histoire alternative n’a pas pour but de faire sourire, mais d’inviter à réfléchir. Car dans ce miroir déformant, un enseignement se dessine : rien n’est jamais tout blanc ni tout noir. Nos regards d’aujourd’hui sont conditionnés par les bifurcations du passé. Changez le cours d’un fleuve, et ce sont toutes les rivières qui suivent un autre tracé. Changez un événement, et les opinions contemporaines — les vôtres, les miennes — pourraient s’en trouver renversées.
Ceux qui, en 2025, pleurent encore les Plaines d’Abraham ne sont guère différents de certains monarchistes français qui, chaque 21 janvier, commémorent la mort du roi Louis XVI comme on pleurerait un père défunt. Chez les uns comme chez les autres existe le même aveuglement idéologique, le même attachement à un passé idéalisé — et, disons-le, largement fantasmé.
Or, il faut le dire sans détour : si l’Histoire avait correspondu à leurs souhaits les plus chers, ces contempteurs de la monarchie — et nous-mêmes — ne seraient pas nés pour le regretter.
Effacez la Révolution française, et vous modifiez radicalement le XIXe siècle européen. Supprimez les tensions sociales et nationalistes qui en ont découlé, et c’est la Première Guerre mondiale qui ne survient pas. Or, sans la Grande Guerre, point de Seconde. Et sans ces deux cataclysmes, pas de bouleversements démographiques, pas d’émigration massive, pas de recomposition des sociétés. En somme, un monde où nous ne serions pas les mêmes — où d’ailleurs nous n’existerions pas du tout.
M. Blanchet, M. St-Pierre Plamondon et leurs adeptes feraient bien d’y songer. Je leur ai d’ailleurs posé la question sur un réseau social et n’ai pas obtenu de réponse à ce jour. Probablement parce qu’il n’y en a pas.
Ces messieurs seraient également bien inspirés de suivre quelques cours de droit constitutionnel. Car selon notre Loi fondamentale, il faudrait littéralement que l’enfer gèle pour que leur projet aboutisse. Faute de pouvoir abolir la monarchie canadienne, ils continuent d’en nier la réalité, s’obstinant à la présenter comme une survivance britannique. Cela leur permet de camper confortablement dans leur rôle préféré : celui du petit peuple colonisé, éternellement victime d’un pouvoir étranger.
Qu’ils se rassurent : il existe des alternatives. La République française, avec ses débats hystérisés, ses partis au bord de l’implosion et ses institutions brinquebalantes. Ou encore les États-Unis, pris en étau entre une nostalgie trumpienne d’un autre âge d’or idéalisé et une présidence en pilotage automatique. Vous avez le choix : entre un potentat d’opérette et un président giflé par son épouse à la descente d’un avion, les modèles républicains ne manquent pas. Allez-y, mes amis. Mais n’oubliez pas votre passeport : vous pourriez bien revenir au bout de deux ans, émus aux larmes devant la stabilité tranquille de la Couronne canadienne.
Car enfin, il serait malhonnête de nier l’évidence : il y avait, dans la lecture du discours du trône par Sa Majesté Charles III, une dignité, une gravité, une solennité que bien peu de chefs d’État sont encore capables d’incarner. Un sens de la continuité historique, du service public, et même — oserais-je dire — du sacré, sous les couleurs d’un modèle démocratique apaisé et qui fonctionne comme une machine bien huilée.
Faut-il rappeler qu’aucun système politique n’est parfait ? Mais le nôtre, avec sa monarchie constitutionnelle, offre des garde-fous, un équilibre subtil entre symbolique et pragmatisme, tradition et modernité. Il serait pour le moins imprudent de le jeter aux orties au nom d’un fantasme idéologique ou d’une rancœur mal digérée.
Quitter la proie pour l’ombre : c’est céder à l’illusion que l’on peut reconstruire un pays sur la seule base d’un mécontentement hérité, sans voir que certaines institutions imparfaites servent parfois mieux la pluralité des peuples que les grandes réinitialisations.
damien@moniteuracadien.ca
Il était une fois une histoire que les manuels scolaires n’enseignent pas.
Imaginons un instant que la Guerre de Sept Ans ait tourné à l’avantage des Français. Les Britanniques, défaits, cèdent le Canada à la Couronne de France. Fort de cette victoire, le royaume de Louis XV, désormais prospère grâce aux ressources nord-américaines et à ses comptoirs des Indes, n’éprouve nul besoin de prendre sa revanche sur la Grande-Bretagne en soutenant les insurgés américains dans leur lutte pour l’indépendance. Les caisses de l’État sont pleines, la marine royale domine les mers, et nul ne songe à convoquer les États-Généraux. La Révolution n’éclate pas. Louis XVI ne monte jamais sur l’échafaud.
Deux siècles plus tard, ce n’est pas en pas en tant que roi de France que son lointain successeur, se présente à Ottawa pour y lire le discours du trône d’un gouvernement nouvellement élu, mais bien en roi du Canada. D’un océan à l’autre, la majorité francophone acclame son souverain d’un vibrant Vive le roi !, tandis que les anglophones, minoritaires, s’agitent dans l’Ouest. Trois référendums manqués plus tard, les indépendantistes albertains réclament désormais leur rattachement à la république voisine, celle d’un certain Donald Trump.
Bien entendu, tout ceci est une fiction — une uchronie. Une pure inversion des rôles, fondée sur un simple « et si ». Elle comporte d’ailleurs une petite erreur, car l’Alberta tire son nom du prince consort Albert de Saxe-Cobourg, époux de la reine Victoria. Dans un Canada resté français, la province aurait porté un tout autre nom.
Cet exercice d’histoire alternative n’a pas pour but de faire sourire, mais d’inviter à réfléchir. Car dans ce miroir déformant, un enseignement se dessine : rien n’est jamais tout blanc ni tout noir. Nos regards d’aujourd’hui sont conditionnés par les bifurcations du passé. Changez le cours d’un fleuve, et ce sont toutes les rivières qui suivent un autre tracé. Changez un événement, et les opinions contemporaines — les vôtres, les miennes — pourraient s’en trouver renversées.
Ceux qui, en 2025, pleurent encore les Plaines d’Abraham ne sont guère différents de certains monarchistes français qui, chaque 21 janvier, commémorent la mort du roi Louis XVI comme on pleurerait un père défunt. Chez les uns comme chez les autres existe le même aveuglement idéologique, le même attachement à un passé idéalisé — et, disons-le, largement fantasmé.
Or, il faut le dire sans détour : si l’Histoire avait correspondu à leurs souhaits les plus chers, ces contempteurs de la monarchie — et nous-mêmes — ne seraient pas nés pour le regretter.
Effacez la Révolution française, et vous modifiez radicalement le XIXe siècle européen. Supprimez les tensions sociales et nationalistes qui en ont découlé, et c’est la Première Guerre mondiale qui ne survient pas. Or, sans la Grande Guerre, point de Seconde. Et sans ces deux cataclysmes, pas de bouleversements démographiques, pas d’émigration massive, pas de recomposition des sociétés. En somme, un monde où nous ne serions pas les mêmes — où d’ailleurs nous n’existerions pas du tout.
M. Blanchet, M. St-Pierre Plamondon et leurs adeptes feraient bien d’y songer. Je leur ai d’ailleurs posé la question sur un réseau social et n’ai pas obtenu de réponse à ce jour. Probablement parce qu’il n’y en a pas.
Ces messieurs seraient également bien inspirés de suivre quelques cours de droit constitutionnel. Car selon notre Loi fondamentale, il faudrait littéralement que l’enfer gèle pour que leur projet aboutisse. Faute de pouvoir abolir la monarchie canadienne, ils continuent d’en nier la réalité, s’obstinant à la présenter comme une survivance britannique. Cela leur permet de camper confortablement dans leur rôle préféré : celui du petit peuple colonisé, éternellement victime d’un pouvoir étranger.
Qu’ils se rassurent : il existe des alternatives. La République française, avec ses débats hystérisés, ses partis au bord de l’implosion et ses institutions brinquebalantes. Ou encore les États-Unis, pris en étau entre une nostalgie trumpienne d’un autre âge d’or idéalisé et une présidence en pilotage automatique. Vous avez le choix : entre un potentat d’opérette et un président giflé par son épouse à la descente d’un avion, les modèles républicains ne manquent pas. Allez-y, mes amis. Mais n’oubliez pas votre passeport : vous pourriez bien revenir au bout de deux ans, émus aux larmes devant la stabilité tranquille de la Couronne canadienne.
Car enfin, il serait malhonnête de nier l’évidence : il y avait, dans la lecture du discours du trône par Sa Majesté Charles III, une dignité, une gravité, une solennité que bien peu de chefs d’État sont encore capables d’incarner. Un sens de la continuité historique, du service public, et même — oserais-je dire — du sacré, sous les couleurs d’un modèle démocratique apaisé et qui fonctionne comme une machine bien huilée.
Faut-il rappeler qu’aucun système politique n’est parfait ? Mais le nôtre, avec sa monarchie constitutionnelle, offre des garde-fous, un équilibre subtil entre symbolique et pragmatisme, tradition et modernité. Il serait pour le moins imprudent de le jeter aux orties au nom d’un fantasme idéologique ou d’une rancœur mal digérée.
Quitter la proie pour l’ombre : c’est céder à l’illusion que l’on peut reconstruire un pays sur la seule base d’un mécontentement hérité, sans voir que certaines institutions imparfaites servent parfois mieux la pluralité des peuples que les grandes réinitialisations.