
Éditorial
23 Octobre 2024
SUSAN HOLT ENTRE DANS L’HISTOIRE DU NOUVEAU-BRUNSWICK
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Damien Dauphin
Rédacteur en chef
damien@moniteuracadien.ca
Dans un éditorial publié il y a plus de deux ans (édition du 27 juillet 2022) et intitulé « Choisir l’alternance », j’avais écrit que Susan Holt me semblait être la meilleure option pour prendre la tête du Parti libéral du Nouveau-Brunswick.
Cette prise de position m’avait valu quelques critiques dans la région sud-est où les ténors du parti soutenaient, ce qui est bien normal, la candidature de Robert Gauvin. Certains ont prétendu que j’avais outrepassé mes prérogatives, un peu comme si j’avais appelé à voter libéral aux élections générales.
C’est évidemment inexact. Ma position impose la neutralité et implique que je me situe au-dessus de la mêlée partisane. Dans l’éditorial en question, je m’étais borné à exposer les raisons pour lesquelles les militants libéraux avaient intérêt à choisir Susan Holt pour redresser la barre de leur formation politique.
Aujourd’hui, je peux dire avec fierté que j’étais visionnaire.
***
Pendant deux ans, Susan Holt a labouré la province. Elle est allée à la rencontre des gens et a pris le temps de les écouter. Elle a pris note de leurs préoccupations et de leurs espoirs. Son approche collaborative lui a permis de s’appuyer à la foi sur des libéraux historiques et de nouveaux venus dans l’arène politique.
Les politologues trouvaient qu’elle manquait de charisme et peinait à se faire connaître. Ces derniers mois lui ont donné l’occasion de se révéler. Ce fut particulièrement remarquable lors des débats télévisés durant lesquels elle a brillé. En comparaison, ses adversaires avaient l’air terne.
Mme Holt a gagné son ticket d’entrée à l’Assemblée législative au printemps 2023, à la faveur d’une élection partielle qui lui offrait le choix entre trois circonscriptions. Dans la région, nous aurions été heureux qu’elle choisisse de succéder à Roger Melanson dans Dieppe, aujourd’hui Dieppe-Memramcook. Elle a plutôt décidé de se présenter dans Bathurst-Est-Nepisiguit-Saint-Isidore, dans la Baie des Chaleurs.
Elle a justifié son choix en disant que cette circonscription représentait en quelque sorte le Nouveau-Brunswick dans toutes ses composantes, avec ses trois principales communautés : anglophone, acadienne et autochtone. Cela annonçait sa volonté de représenter absolument tout le monde, sans laisser quiconque de côté.
Lorsque, pour l’élection générale qui vient d’avoir lieu, elle a décidé de tenter sa chance dans Fredericton-Sud-Silverwood, rien n’était acquis d’avance. C’était un pari risqué. Il est heureux qu’elle l’ait gagné, car sa légitimité en dépendait. À présent, elle est incontestable.
***
En 1987, Aldéa Landry avait marqué l’histoire de la province en devenant la vice-première ministre de Frank McKenna. Originaire de Sainte-Cécile, dans l’île de Lamèque, elle réside à Moncton depuis des années. Nul doute qu’elle ait été une source d’inspiration pour Susan Holt, qui vient de faire sauter un autre plafond de verre et entre à son tour dans l’histoire.
C’est bel et bien une élection historique que nous venons de vivre. En comptant Susan Holt, ce sont 17 femmes appartenant aux trois partis politiques représentés à l’Assemblée législative qui ont été élues lundi soir. Certes, ce n’est pas encore la parité, mais c’est un autre jalon qui vient d’être atteint.
***
Les espoirs qu’avait le Parti vert de détenir la balance du pouvoir ont été réduits à néant. La majorité obtenue par les Libéraux ne leur impose pas de négocier des compromis avec un tiers parti. Je souhaite toutefois qu’ils reprennent à leur compte certaines propositions émises par David Coon et ses troupes. En particulier, j’aimerais qu’ils n’oublient pas les enjeux climatiques qui concernent au premier plan le littoral acadien.
À cet égard, je suis curieux de voir comment la volonté de décentralisation dans les régions que promeut Susan Holt va se traduire de façon concrète sur le terrain. La démocratie participative est une notion relativement nouvelle au Nouveau-Brunswick. Or, de plus en plus, les citoyens éprouvent le besoin de se sentir écoutés. Susan Holt l’a fait depuis deux ans. Ce mouvement doit continuer.
***
Blaine Higgs quitte la scène politique sur une double défaite personnelle. Vaincu dans son fief de Quispamsis par 193 voix d’avance, il ne sera pas le chef de l’opposition officielle. Sa dérive droitière a été sanctionnée par les électeurs et sa candidate vedette dans Hampton-Fundy-St. Martins, Faytene Grassesschi, n’a pas été élue.
En revanche, il ne faut pas oublier que M. Higgs a fait entrer le loup dans la bergerie en intégrant dans son parti Kris Austin et Michelle Conroy, deux députés de l’anti-francophone People’s Alliance. Ce parti est le succédané contemporain de la Confederation of Regions dont le premier ministre sortant portait les couleurs au début des années 1990. Or, Mme Conroy et M. Austin ont tous deux retrouvé leur siège, la première avec 50,85% des voix, et le deuxième avec 54% des suffrages exprimés.
Qui va devenir le chef de l’opposition officielle? Les politiques de Blaine Higgs ont fait du tort à un parti conservateur qui doit absolument retrouver ses couleurs progressistes. Les Acadiens ne doivent pas laisser des anglophones nostalgiques de la politique de grand-papa accaparer un parti qui, sous les mandats de Richard Hatfield et de Bernard Lord, avait embrassé leur cause en confirmant et en consolidant la loi sur les langues officielles.
Lorsque s’ouvrira la succession de Blaine Higgs, j’inciterai les militants du PCNB à revenir à ces racines progressistes. Le moment venu, je les inviterai à se donner pour chef, par exemple, quelqu’un comme Daniel Allain. Ce serait d’autant plus crucial si Kris Austin, confortablement réélu lundi soir, ambitionnait de prendre les rênes du parti.
En attendant, place au gouvernement Holt, la première femme première ministre de l’histoire du Nouveau-Brunswick!
Photo : Susan Holt au Monument-Lefebvre à Memramcook, à côté de Richard Losier, le soir de la désignation de Natacha Vautour. De gauche à droite : Lyne Chantal Boudreau, Robert Gauvin, Tania Sodhi, Jacques LeBlanc, Rob McKee, Marco LeBlanc, Alexandre Cédric Doucet, Isabelle Thériault, Claire Johnson, Pat Finnigan et Luc Ribichaud ont tous été élus lundi soir. (Photo : Damien Dauphin)
Rédacteur en chef
damien@moniteuracadien.ca
Dans un éditorial publié il y a plus de deux ans (édition du 27 juillet 2022) et intitulé « Choisir l’alternance », j’avais écrit que Susan Holt me semblait être la meilleure option pour prendre la tête du Parti libéral du Nouveau-Brunswick.
Cette prise de position m’avait valu quelques critiques dans la région sud-est où les ténors du parti soutenaient, ce qui est bien normal, la candidature de Robert Gauvin. Certains ont prétendu que j’avais outrepassé mes prérogatives, un peu comme si j’avais appelé à voter libéral aux élections générales.
C’est évidemment inexact. Ma position impose la neutralité et implique que je me situe au-dessus de la mêlée partisane. Dans l’éditorial en question, je m’étais borné à exposer les raisons pour lesquelles les militants libéraux avaient intérêt à choisir Susan Holt pour redresser la barre de leur formation politique.
Aujourd’hui, je peux dire avec fierté que j’étais visionnaire.
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Pendant deux ans, Susan Holt a labouré la province. Elle est allée à la rencontre des gens et a pris le temps de les écouter. Elle a pris note de leurs préoccupations et de leurs espoirs. Son approche collaborative lui a permis de s’appuyer à la foi sur des libéraux historiques et de nouveaux venus dans l’arène politique.
Les politologues trouvaient qu’elle manquait de charisme et peinait à se faire connaître. Ces derniers mois lui ont donné l’occasion de se révéler. Ce fut particulièrement remarquable lors des débats télévisés durant lesquels elle a brillé. En comparaison, ses adversaires avaient l’air terne.
Mme Holt a gagné son ticket d’entrée à l’Assemblée législative au printemps 2023, à la faveur d’une élection partielle qui lui offrait le choix entre trois circonscriptions. Dans la région, nous aurions été heureux qu’elle choisisse de succéder à Roger Melanson dans Dieppe, aujourd’hui Dieppe-Memramcook. Elle a plutôt décidé de se présenter dans Bathurst-Est-Nepisiguit-Saint-Isidore, dans la Baie des Chaleurs.
Elle a justifié son choix en disant que cette circonscription représentait en quelque sorte le Nouveau-Brunswick dans toutes ses composantes, avec ses trois principales communautés : anglophone, acadienne et autochtone. Cela annonçait sa volonté de représenter absolument tout le monde, sans laisser quiconque de côté.
Lorsque, pour l’élection générale qui vient d’avoir lieu, elle a décidé de tenter sa chance dans Fredericton-Sud-Silverwood, rien n’était acquis d’avance. C’était un pari risqué. Il est heureux qu’elle l’ait gagné, car sa légitimité en dépendait. À présent, elle est incontestable.
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En 1987, Aldéa Landry avait marqué l’histoire de la province en devenant la vice-première ministre de Frank McKenna. Originaire de Sainte-Cécile, dans l’île de Lamèque, elle réside à Moncton depuis des années. Nul doute qu’elle ait été une source d’inspiration pour Susan Holt, qui vient de faire sauter un autre plafond de verre et entre à son tour dans l’histoire.
C’est bel et bien une élection historique que nous venons de vivre. En comptant Susan Holt, ce sont 17 femmes appartenant aux trois partis politiques représentés à l’Assemblée législative qui ont été élues lundi soir. Certes, ce n’est pas encore la parité, mais c’est un autre jalon qui vient d’être atteint.
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Les espoirs qu’avait le Parti vert de détenir la balance du pouvoir ont été réduits à néant. La majorité obtenue par les Libéraux ne leur impose pas de négocier des compromis avec un tiers parti. Je souhaite toutefois qu’ils reprennent à leur compte certaines propositions émises par David Coon et ses troupes. En particulier, j’aimerais qu’ils n’oublient pas les enjeux climatiques qui concernent au premier plan le littoral acadien.
À cet égard, je suis curieux de voir comment la volonté de décentralisation dans les régions que promeut Susan Holt va se traduire de façon concrète sur le terrain. La démocratie participative est une notion relativement nouvelle au Nouveau-Brunswick. Or, de plus en plus, les citoyens éprouvent le besoin de se sentir écoutés. Susan Holt l’a fait depuis deux ans. Ce mouvement doit continuer.
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Blaine Higgs quitte la scène politique sur une double défaite personnelle. Vaincu dans son fief de Quispamsis par 193 voix d’avance, il ne sera pas le chef de l’opposition officielle. Sa dérive droitière a été sanctionnée par les électeurs et sa candidate vedette dans Hampton-Fundy-St. Martins, Faytene Grassesschi, n’a pas été élue.
En revanche, il ne faut pas oublier que M. Higgs a fait entrer le loup dans la bergerie en intégrant dans son parti Kris Austin et Michelle Conroy, deux députés de l’anti-francophone People’s Alliance. Ce parti est le succédané contemporain de la Confederation of Regions dont le premier ministre sortant portait les couleurs au début des années 1990. Or, Mme Conroy et M. Austin ont tous deux retrouvé leur siège, la première avec 50,85% des voix, et le deuxième avec 54% des suffrages exprimés.
Qui va devenir le chef de l’opposition officielle? Les politiques de Blaine Higgs ont fait du tort à un parti conservateur qui doit absolument retrouver ses couleurs progressistes. Les Acadiens ne doivent pas laisser des anglophones nostalgiques de la politique de grand-papa accaparer un parti qui, sous les mandats de Richard Hatfield et de Bernard Lord, avait embrassé leur cause en confirmant et en consolidant la loi sur les langues officielles.
Lorsque s’ouvrira la succession de Blaine Higgs, j’inciterai les militants du PCNB à revenir à ces racines progressistes. Le moment venu, je les inviterai à se donner pour chef, par exemple, quelqu’un comme Daniel Allain. Ce serait d’autant plus crucial si Kris Austin, confortablement réélu lundi soir, ambitionnait de prendre les rênes du parti.
En attendant, place au gouvernement Holt, la première femme première ministre de l’histoire du Nouveau-Brunswick!
Photo : Susan Holt au Monument-Lefebvre à Memramcook, à côté de Richard Losier, le soir de la désignation de Natacha Vautour. De gauche à droite : Lyne Chantal Boudreau, Robert Gauvin, Tania Sodhi, Jacques LeBlanc, Rob McKee, Marco LeBlanc, Alexandre Cédric Doucet, Isabelle Thériault, Claire Johnson, Pat Finnigan et Luc Ribichaud ont tous été élus lundi soir. (Photo : Damien Dauphin)