Opinion
Monckton n'y est pour rien
Après avoir pris connaissance il y a quelques semaines de la pétition initiée par le militant acadien Jean-Marie Nadeau, demandant le changement de nom de l’Université de Moncton, environ cinq secondes de réflexion me suffirent avant d’accepter de la signer. Ma position sur le sujet n’a pas changé depuis mes premiers cours d’histoire. J’ai toutefois dû cogiter plus longuement pour aboutir à mon opinion que voici.
Ce débat qui ne date pas d’hier démontre, dans sa complexité et sa sensibilité, que ce qui constitue pour certains un simple lien dénominal en un personnage historique, une ville et une université, signifie tout autre chose pour d’autres. L’objet de la discussion étant étroitement lié à notre histoire, il est impératif de connaitre celle-ci et surtout, de ne pas l’ignorer. «Celui qui ne connait pas l’Histoire est condamné à la revivre», dit le vieux dicton.
Je n’ai aucunement la prétention d’avoir ce qu’il faut pour enseigner. Je vais du moins partager ce que je sais. Administrateur colonial Britannique en Amérique, le lieutenant-général Robert Monckton fut l’organisateur et l’exécuteur de la déportation des Acadiens. Ce fut sous ses ordres que les familles ont été démembrées et dispersées, les fuyards traqués, torturés et fusillés et les villages et bâtiments incendiés.
Le village fondé par les Acadiens vers 1670 et appelé Le Coude, tomba aux mains des Britanniques lors de la déportation pour être renommé en mémoire de Monckton en 1855. Ce village est devenu l’importante municipalité que nous connaissons aujourd’hui. En 1963, après avoir rallié les collèges et universités fondés par les pères eudistes dès les années 1800, l’Université de Moncton vit le jour.
Que les Britanniques, avant même la confédération de 1867, aient opté pour nommer ainsi la ville de Moncton ne peut ni ne doit justifier quelque querelle que ce soit entre Acadiens. Je crois que nous devrions laisser Moncton, la ville, hors du débat. Là où le bât blesse, c’est que nous les Acadiens du Nouveau-Brunswick, avons nous-même nommé notre propre et seule université du même nom. Monckton n'y est pour rien.
Le choix de cette dénomination sociale s'est effectué selon le contexte et la réalité de l'époque dans lesquels les Acadiens étaient des citoyens de deuxième classe au Nouveau-Brunswick. Nous devions courber l’échine et n'avions pas les mêmes droits et libertés qu'aujourd'hui. La Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick n’existait même pas encore.
Il ne faut aucunement regretter le choix du nom. Nous nous sommes tout de même donné un joyau d’université. 60 ans plus tard, en grande partie grâce à l'Université qui a rendu accessible une éducation supérieure de haute qualité, nous sommes aujourd’hui plus conscients et en mesure de nous tenir debout, de rayonner artistiquement, de prospérer en affaires, d’occuper des postes notoires et de prendre part à de grandes tables décisionnelles, et ce, sans l’assentiment depuis longtemps vétuste de ce qui a été la suprématie anglophone au Nouveau-Brunswick et dont les stigmates n’ont pas encore complètement disparu.
Il n’y aurait pas, à mon avis, de plus beau symbole et de meilleur remerciement envers les 60 premières années de notre université que de lui donner une dénomination plus représentative de tout ce qu'elle a apportée à la société acadienne et de tout ce qu’elle lui apportera lors des 60 prochaines années. Ce ne sera tout de même pas la première fois qu’une institution post-secondaire change de nom au Nouveau-Brunswick.
Nous sommes à l’ère ou les institutions étiquetées du nom d’un personnage historique controversé choisissent d’effacer ces individus non pas de leur histoire ni de leur passé, mais bien de leur présent et de leur futur.
Les besoins changent. Les sociétés évoluent. Les actions de Robert Monckton d'hier correspondent aujourd’hui à la définition d’un génocide. Il ne nous reste qu'à réaliser ce que ça veut dire, apporter les changements qui s'imposent et continuer.
Guy Lanteigne
Wendover (ON)
Originaire de Saint-Sauveur (N.-B.)