Opinion
Merci Don !
Don Goguen a accueilli dans son salon plusieurs des personnalités les plus importantes de la ville de Moncton.
Des maires ont pris place dans son fauteuil : Leonard Jones, Gary Wheeler, Léopold Belliveau, Lorne Mitton. Des hommes d’affaires se sont aussi installés sur sa chaise : Doug McDonald, Isidore Fine… Il a aussi accueilli des professionnels : des médecins, le Docteur Roland Maurice; des avocats, Paul Arsenault, même un ancien Juge de la Cour suprême et des gens bien ordinaires. Il a aussi reçu des réfugiés de Russie ou encore récemment d’Ukraine, c’est-à-dire donc un peu tout le monde.
Pourquoi ? Parce que Don Goguen, c’est le dernier des philosophes humoristiques acadiens. C’est un barbier hors pair, et ce, depuis 62 ans. Il prend enfin sa retraite : c’est la fin d’une époque, c’est la fin d’un bonheur.
Je me rendais à son salon depuis plus de 40 ans, beaucoup plus pour le plaisir de l’entendre que pour la coupe de cheveux – aux ciseaux s’il-vous-plaît –, dans la plus pure tradition des grands coiffeurs pour hommes.
C’est connu les hommes se confient plus à leur barbier qu’à leur confesseur, et Don en connaît des histoires, mais moi je préférais l’interroger plutôt que de me confesser. Il me raconta qu’en raison de son peu de confiance dans les banques, il mettait depuis des années ses pourboires dans des sacs au-dessus de son réfrigérateur.
Le gérant de la banque Toronto Dominion, qu’il coiffait, un beau jour lui dit que ce n’est pas profitable ou rentable et qu’il devait venir déposer son argent dans un compte d’épargne à la banque. Don apporta à la banque deux sacs pleins d’argent, soit 10 000 $, et demanda de voir le gérant.
Le gérant n’en revenait pas : “Tu as marché jusqu’ici avec des sacs pleins d’argent, mais tu aurais pu être volé. C’est de la pure folie.”
Pour Don, mettre de l’argent en banque, ça voulait dire en perdre le contrôle, mais il a finalement compris que les dollars seraient disponibles lorsqu’il en aurait besoin pour s’acheter une nouvelle guitare, par exemple.
Pour le moment, Don se pose des questions existentielles, comme par exemple sur le problème grandissant de l’itinérance à Moncton.
“Si cet homme est sur le bien-être (welfare), s’il est itinérant, il y a une raison pour ça.”
“Il n’y aurait pas de pénurie de médecins ou d’infirmières si les gens cessaient de fumer, de boire ou de manger à l’excès, en faisant comme moi, à 83 ans, de l’exercice et s’ils adoptaient une saine alimentation.”
Pas si mal pour un homme qui n’a même pas choisi le métier de barbier, car c’est plutôt le métier qui l’a choisi.
Dyslexique, Don n’avait pas réussi sa 7e année à l’école quand un invité du curé de la paroisse l’invita à se rendre au Collège communautaire (anglophone) de Moncton. Pas besoin de savoir écrire ou lire beaucoup pour devenir barbier, une septième année, même raté, suffisait.
Coup de grâce ! Il a adoré son métier et ses clients l’ont apprécié.
Aujourd’hui, sa femme, Germaine, lui conseille de profiter de ses pourboires accumulés avant qu’il ne soit trop tard.
Il prend sa retraite le 30 juin.
Merci Don !
Marc Bastarache
Moncton