Opinion
L’Acadie et ses systèmes électoraux
Daniel LeBlanc
Directeur général
Nation Prospère Acadie
Les soupçons d'irrégularités dans les systèmes électoraux ont fait couler beaucoup d'encre ces dernières années. Même en Acadie, la question se pose.
Cet été, grâce à l'accès à l'information, nous avons appris qu'Élections Canada venait de publier un guide sur les courses à l'investiture des partis politiques. Ce rapport soulève la possibilité d'irrégularités sérieuses dans nos élections, amenant les Canadiens à s'interroger sur la légitimité de certains de leurs élus.
Le document suggère des changements pour protéger ces processus de nominations, notamment en interdisant aux non-citoyens canadiens, aux travailleurs temporaires, aux étudiant étrangers, aux mineurs ainsi qu’aux non-résidents des circonscriptions de prendre part au choix des candidats.
Surtout, il suggère aux partis politiques de renforcer leurs mesures de sécurité et d'être plus transparents dans la vérification de l'identité des électeurs lors de leurs courses à l'investiture. En d'autres mots, appliquer les mêmes règles que celles prescrites pour les élections canadiennes.
Un autre rapport, publié en mai par le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, faisait état d'une inquiétude quant à la facilité avec laquelle les acteurs étrangers pouvaient profiter des lacunes et des vulnérabilités du système canadien pour soutenir leurs candidats préférés lors de ces courses d’investiture.
« Il s'agit d'une grande lacune, car un certain nombre de circonscriptions au Canada sont considérées comme des sièges sûrs pour un parti ou un autre, de sorte qu'une nomination réussie peut équivaloir à l'élection d'un candidat », prévenait le rapport.
La montée en puissance de la communauté sikhe au sein du Parlement canadien, qui a envoyé 18 députés en 2016, a notamment été remarquable. Cinq d'entre eux ont trouvé leur place dans le cabinet Trudeau, tandis que le chef du NPD, Jagmeet Singh, a joué le rôle de faiseur de roi politique ces dernières années.
La machine politique de la minorité sikhe a peu de précédents dans l'histoire du Canada. L'exemple de l'ancienne Patente acadienne qui a porté Louis J. Robichaud au pouvoir en 1960 pourrait en être un autre.
C’était à une époque où 40 % de la population du Nouveau-Brunswick était d’origine acadienne. La Patente et la Société nationale des Acadiens (SNA), comme on l'appelait à l'époque, étaient dirigées par des grands bâtisseurs dont Gilbert Finn, Martin Légère, Louis Lebel et le Dr Léon Richard.
Aujourd'hui, personne ne remettrait en cause leur légitimité en tant que leaders de la société acadienne.
Mais en deux générations, la population d'origine acadienne est passée sous la barre des 30% au Nouveau-Brunswick, tandis que le mouvement nationaliste acadien s'est largement éteint. Si les tendances à l'immigration, à l'exil, à la dénatalité et à l'assimilation se poursuivent, nous serons à peine 20% en 2040.
Pour en revenir au sujet qui nous occupe, depuis les années 1980 et 1990, de nombreuses tentatives ont été entreprises pour renforcer le pouvoir des Acadiens et améliorer leurs systèmes de représentation. Toutes ces initiatives, sans exception, ont échoué.
L’élection à la présidence de la SNA
Entre-temps, une transformation importante a eu lieu au sein des associations francophones, qui se définissent comme porte-parole des Acadiens au Canada atlantique.
En mai 1992, la SNA adopte son nouveau nom, la Société nationale de l'Acadie, conformément à sa nouvelle vision de représenter la francophonie atlantique plutôt que le seul peuple acadien.
Parallèlement, son mode de scrutin est modifié, de sorte que seuls huit représentants d'associations en Acadie peuvent désormais élire sa présidence. La petite communauté francophone de Terre-Neuve-et-Labrador, avec ce nouveau système, acquiert ainsi deux voix ou 25% du poids électoral de la SNA.
Quatre voix électorales ou 50% du poids politique de la SNA est détenu depuis 1992 par les associations jeunesse qui représentent les élèves et étudiants francophones de l’Atlantique. Il n'est pas surprenant d’apprendre que plusieurs de ses représentants, dont certains sont mineurs, connaissent un taux de rotation élevé en raison de leur situation particulière.
Les quatre autres représentants de la SNA dirigent les quatre associations acadiennes et francophones des provinces de l'Atlantique, dont la SANB.
Enfin, ces huit associations sont tous redevables au gouvernement fédéral, par l’intermédiaire de Patrimoine canadien, qui finance la presque totalité de leurs activités. On dira qu’il ne s’agit pas ici tant d'ingérence, mais d'influence.
L’élection à la présidence de la SANB
L’élection à la présidence de la SANB a lieu tous les deux ans. Depuis 2020, celle-ci se déroule uniquement à distance et par vote électronique.
Son nouveau système électoral s'inspire des courses à l'investiture politique mentionnées précédemment, ce qui soulève de nouvelles questions quant à leur légitimité ultime. La victoire revient à celle ou celui qui réussit à recruter le maximum d'électeurs électroniques avant le jour du scrutin, indépendamment de l'expérience du candidat ou de la portée de son programme.
Alexandre Cédric Doucet fut le premier président de la SANB à bénéficier de ce nouveau système électoral. Étudiant populaire âgé de 25 ans, son mandat fut caractérisé par des défis financiers à la SANB et de nouvelles orientations prisées par les jeunes, dont l’environnement, la diversité et l’inclusion.
En 2024, la directrice de longue date au conseil d’administration de la SANB, Nicole Arseneau-Sluyter, le remplaça. Seuls 800 personnes ou 3% des soi-disant 25 000 membres de la SANB ont participé à cette élection, comparativement aux 250 000 Acadiens du Nouveau-Brunswick.
Si Élections Canada à raison de remettre en question la tradition compromise des courses à l'investiture, qui amène les Canadiens à douter de la légitimité de certains de ses représentants, les Acadiens peuvent en faire autant.
Les dirigeants de la SNA et de la SANB se présentent sur la scène nationale et internationale comme les véritables porte-paroles et représentants du peuple acadien. Certains diront qu'il s'agit là d'une affirmation exagérée si l'on considère les systèmes électoraux qui les ont conduits à ces postes.
Avec les défis démographiques qui s’annoncent pour l’Acadie lors du prochain demi-siècle, il en est devenu une question de pérennité pour le peuple acadien de revoir ses systèmes électoraux.