Par David Le Gallant
En Acadie, les Anglais ont fait pleurer la beauté du monde. (Henri d’Arles)
La Grande-Bretagne s’est acharnée sur la Nouvelle-France pendant un siècle pour finalement avoir le dessus en 1713. La déportation des Acadiens n’était qu’un volet de la conquête d’une Amérique du Nord britannique. Les Canadiens auraient probablement subi le même sort, sauf qu’ils étaient trop nombreux et que le coût de la déportation acadienne avait dépassé de loin les prévisions de la Couronne britannique.
En présence de l’amiral Edward Boscawen et du contre-amiral Savage Mostyn aux délibérations du Conseil de la Nouvelle-Écosse aboutissant à la date fatidique au 28 juillet 1755, le lieutenant-gouverneur Charles Lawrence emboîta le pas quant à prendre des mesures déterminées d’avance à Londres. Conformément à la suggestion émise par les lords de Commerce, le juge en chef de la Nouvelle-Écosse, Jonathan Belcher, rédigea une consultation dont la conclusion était politique : « Tant qu’il restera un Français dans la province, il n’y a pas à espérer que la paix y sera stable, et que le seul parti à prendre pour assurer la sécurité du pays est de disséminer ces Français parmi les colonies anglaises du continent ».
Entre-temps, l’arpenteur Charles Morris préparait, sur l’ordre du lieutenant-gouverneur, un rapport détaillé sur les divers groupements acadiens, leur nombre, leur force, leurs richesses, examinant sous toutes ses facettes la question de savoir comment s’y prendre pour s’en débarrasser, et indiquant de façon précise et détaillée le moyen le plus sûr d’en finir à jamais avec cette engeance.
Dès 1751, dans son mémoire intitulé « Representation of the relative state of French and English in Nova Scotia », Morris suggéra de déraciner les Acadiens de la région de Chignectou, parce qu’ils rendaient impossible toute véritable colonisation britannique dans la province. Il recommanda leur déplacement « par quelque stratagème... la manière la plus efficace étant de détruire tous leurs établissements en incendiant toutes les maisons, en faisant des brèches dans les digues et en détruisant tous les grains actuellement sur pied ». Au cours de ses délibérations concernant le sort des Acadiens, le Conseil à Halifax consulta Morris, alors le fonctionnaire le mieux renseigné sur eux. De son côté, le révérend Andrew Brown jugea que les avis de Morris à l’endroit du Conseil étaient « cruels et barbares ».
Après la conquête, Londres a compté sur l’afflux de colons yankees au Canada pour accomplir, par le truchement de l’assimilation, ce qui avait été accompli en Nouvelle-Écosse par celui de la déportation. Les deux politiques ont échoué, laissant de terribles cicatrices. Pour les Acadiens, toutefois, la déportation a été dévastatrice. La notion que le projet de la Déportation, y compris le siège de Louisbourg, fut principalement une entreprise coloniale est du moins contestable. Le « grand et noble » projet fut appuyé à Whitehall, alors siège du gouvernement britannique, pour une année entière avant qu’il soit mis en vigueur. Les armes et les munitions sont arrivées directement de Grande-Bretagne. Des six commandants, seul Winslow était un officier colonial. Le commandant en chef était l’amiral Boscawen qui fit le voyage de l’Angleterre tôt en 1755. Environ 25% des forces terrestres qui étaient impliquées dans la prise de Louisboug étaient des militaires de carrière britanniques (« British Regulars »), et le financement de l’opération était cautionné par le Parlement britannique. Au minimum, le projet de la Déportation fut une opération militaire coloniale britannique combinée.
Promotion des acteurs d’un génocide orchestré
Quant aux promotions de quelques-uns des principaux acteurs britanniques du génocide acadien, suite à 1755, le simple lieutenant-gouverneur Charles Lawrence a enfin obtenu, en 1756, le poste de gouverneur de la Nouvelle-Écosse, tandis que Jeffrey Amherst devint commandant général en Amérique du Nord et gouverneur de Virginie, avec des commissions militaires supplémentaires et 20 000 acres à New York, et le poste de gouverneur de l’île de Guernesey.
William Shirley, gouverneur du Massachusetts, devint gouverneur des Bahamas. Monckton fut fait gouverneur et commandant en chef de la province de New York, accepta une riche concession de terre sur l’île Saint-Vincent, dans les Antilles, et devint gouverneur de Berwick-upon-Tweed. Le juge en chef Jonathan Belcher devint grand maître des francs-maçons de la Nouvelle-Écosse.
Après avoir orchestré le génocide des Acadiens de 1755 à 1762 dans des conditions abominables, le duc de Cumberland, qui avait imaginé la solution définitive au cas des Acadiens, se retira à Windsor et à Londres pour voir naître le 1er avril 1764 dans ses écuries, Eclipse, le plus célèbre cheval de course du XVIIIe siècle, resté invaincu en compétition.
John Winslow, le seul à n’être pas Britannique, n’a rien obtenu. Pourtant, tout ce qu’il souhaitait ardemment, c’était d’avoir son propre régiment et une réputation de bon caractère pour la postérité. Il paraît que, selon John Mack Faragher (A Great and Noble Scheme, 2005, p. 337) et Veritas Acadie 4 (2015, p. 65), c’est pourquoi il aurait écrit dans son journal le 5 septembre 1755 : That part of duty I am now upon is what though necessary is very disagreeable to my natural make and temper…
Diplômé en droit de l’Université de Moncton, David Le Gallant est rédacteur en chef de la revue Veritas Acadie (www.1755.ca).
(« Vue du pillage et de l'incendie de la cité de Grimrose », par Thomas Davies, 1758 (Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa), la seule représentation contemporaine connue de la Déportation. Crédit : Gracieuseté)