Éditorial

Une brise rafraîchissante

Avez-vous remarqué comme, de nos jours, la liberté d’expression est de plus en plus battue en brèche ? C’est paradoxal, alors que les réseaux sociaux ont permis au plus grand nombre de donner leur avis sur quantité de sujets. Dorénavant, les personnalités publiques marchent constamment sur des œufs, de peur de glisser sur la peau de banane qui précipitera leur chute.

Chaque mot est pesé, soupesé, mûrement réfléchi. Il en va de même des actes dont on sait qu’ils rencontreront une certaine opposition. Ainsi, le gouvernement Trudeau a attendu un mois avant de porter en appel la décision de la juge DeWare relative à l’inconstitutionnalité du processus de nomination de Brenda Murphy au poste de lieutenante-gouvernante du Nouveau-Brunswick.

La communauté acadienne attendait que des voix s’élèvent en son sein pour se désolidariser de cette résolution, et briser ainsi la ligne de parti. C’est fait. Nous ne pouvons que féliciter Serge Cormier et René Arseneault d’avoir eu le courage de le faire. Saluons au passage Jennica Atwin qui, sans être Acadienne, a joint sa voix à celle de ses deux collègues. Il est vrai qu’elle est une bonne joueuse de poker. Souhaitons-lui de rafler la mise avec ce pari audacieux que rien ni personne ne l’obligeait à faire.

Différente est la posture de Dominic LeBlanc et de Ginette Petitpas Taylor. Ils siègent au sein du gouvernement fédéral. Nul ne pouvait espérer que le député de Beauséjour, proche de Justin Trudeau depuis de nombreuses années, daigne jouer une musique différente auprès de ses fidèles électeurs. À coup d’arguments dont la société civile acadienne a réfuté la pertinence, il fut le premier à justifier le choix du patron.

Plus délicate encore est la situation de la députée de Moncton-Riverview-Dieppe. Coincée en quelque sorte entre le marteau et l’enclume, elle a pris son temps avant de s’exprimer sur une question délicate qui touche de près son portefeuille de ministre des Langues officielles. Ginette Petitpas Taylor n’a pas brisé la ligne de parti, mais nous ne lui en tiendrons pas rigueur. Sa présence au sein du cabinet fédéral est d’importance pour notre communauté. En dépit de la controverse actuelle, nous perdrions au change si elle devait quitter ses fonctions.

En outre, faire un coup d’éclat n’est pas toujours payant pour celui ou celle qui ose franchir le pas. Voyez Robert Gauvin. Les Acadiens avaient un vice-premier ministre conservateur qui aurait pu faire valoir leurs intérêts à Fredericton. Sa démission spectaculaire en février 2020, dans le contexte de la polémique sur la fermeture de six urgences de nuit, était-elle opportune ? Blaine Higgs a annulé sa décision trois jours plus tard, mais il est difficile d’en attribuer le geste à la défection de M. Gauvin. Aujourd’hui, il est peu probable que les libéraux néo-brunswickois le choisissent pour chef l’été prochain.

Démissionner avec pertes et fracas n’est pas nouveau en politique. En France, il y a une quarantaine d’années, Jean-Pierre Chevènement avait justifié son départ du gouvernement par ces mots au langage fleuri : « un ministre, ça ferme sa gueule ; si ça veut l’ouvrir, ça démissionne ». Huit ans plus tard, en pleine Guerre du Golfe, alors qu’il occupait le portefeuille de ministre de la Défense, il avait de nouveau claqué la porte pour protester contre l’engagement des troupes françaises en Irak.

Nous ne pouvons donc pas attendre ni exiger de nos ministres fédéraux qu’ils suivent cet exemple qui, certes, reflète publiquement une forme de courage et d’honnêteté, mais qui ne change rien de façon concrète. Plutôt que de déserter le champ de bataille, mieux vaut qu’ils travaillent de l’intérieur à faire avancer les intérêts de notre communauté.

Celles et ceux qui n’ont pas de portefeuille ministériel peuvent se permettre, en revanche, de faire entendre une voix discordante. C’est à cette aune qu’il convient d’apprécier les déclarations de Mme Atwin et de MM. Arseneault et Cormier. Ce n’est pas encore un vent de fronde qui souffle sur le parti libéral du Canada, mais c’est une brise rafraîchissante qui purifie un peu l’atmosphère.


Damien Dauphin

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