Éditorial
La Couronne canadienne
Damien Dauphin
Rédacteur en chef
damien@moniteuracadien.ca
Depuis la mort de la reine Élisabeth II, certaines personnes réclament l’abolition de la monarchie au Canada et la rupture des liens avec « la Couronne britannique ». Ceci n’est pas nouveau. Ce qui semble l’être, c’est lorsque Radio-Canada rapporte que des Canadiens issus de l’immigration se font entendre dans ce sens. Curieusement, les exemples cités proviennent de l’ancien empire des Indes. Les présidents de l’Association Inde Canada et Conseil national bangalais-canadien demandent que le Canada « devienne pleinement indépendant ».
Ont-ils manqué quelque chose lorsqu’ils se sont préparés à leur examen de citoyenneté ? Ont-ils encore, à l’instar de certains néo-canadiens d’origine française, profité d’une cérémonie de groupe pour omettre délibérément de jurer « fidélité à la reine, à ses héritiers et successeurs » dans le serment de citoyenneté ? Sont-ils parjures ? Si tel est le cas, alors un vice de forme entache leur naturalisation et ces gens ne sont Canadiens que sur le papier, non dans leur cœur.
Certains de mes amis acadiens se demandent comment il se fait que les Français, dont le pays est en république depuis 150 ans et qui a guillotiné le roi Louis XVI, soient à ce point fascinés par la royauté. La réalité est que les Français sont ceinturés de tous côtés par des monarchies. Cela peut contribuer à les rendre nostalgiques de celle qu’ils n’ont jamais connue mais qui fit la grandeur de leur pays.
D’abord il y a l’Angleterre, de l’autre côté de la Manche. À seulement cinq minutes du domicile de mes parents, se trouvaient la frontière poreuse avec le royaume de Belgique. Le grand-duché de Luxembourg, qui lui est voisin, a une frontière avec la France. Sur le flanc sud-ouest, au-delà des Pyrénées il y a le royaume d’Espagne et, au sud-est, sur la côte d’azur, la principauté de Monaco. Ce « royaume d’opérette » fut revitalisé en 1956 par le mariage du prince Rainier III avec l’actrice américaine Grace Kelly dont nous commémorons, aujourd’hui même, le 40e anniversaire du décès accidentel.
Quelque part, la forme républicaine du gouvernement est une anomalie et l’actuel président de la République française, Emmanuel Macron, en a publiquement fait le constat en 2014 quand il n’était encore que le ministre des Finances durant le mandat de François Hollande.
« La démocratie comporte toujours une forme d’incomplétude, car elle ne se suffit pas à elle-même. Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort », disait-il alors.
La Terreur révolutionnaire a créé un vide que l’on a tenté de combler au moyen de substituts, sans jamais y parvenir vraiment, expliquait-il ensuite. D’où le mythe des « grands hommes », dont l’empereur Napoléon et le général de Gaulle. Malheureusement, ce sont des figures éphémères.
« Le reste du temps, la démocratie française ne remplit pas l’espace. On le voit bien avec l’interrogation permanente sur la figure présidentielle, qui vaut depuis le départ du général de Gaulle », concluait Emmanuel Macron. Aujourd’hui président lui-même, chef d’un parti politique qu’il a créé comme véhicule pour accéder à la fonction suprême et qui a perdu la majorité absolue aux dernières élections législatives, il peut constater comme son analyse était juste.
Vérité sur les deux rives de l’Atlantique ! Un président (ou une présidente) élu et issu d’un parti politique ne peut pas être, et ne sera jamais, le symbole nécessaire de l’unité nationale. En Belgique qui m’était si proche géographiquement et sur le plan familial, c’est le roi, naturellement apolitique, qui soutient un État qui rassemble, comme au Canada, plusieurs communautés linguistiques aux objectifs parfois contraires.
Celles et ceux qui ignorent ou feignent d’ignorer que le Canada est un État souverain devrait se plonger de toute urgence dans un livre d’histoire. À Londres, Charles III est roi du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. Mais quand il viendra à Ottawa, à Toronto, à Montréal et, espérons-le, à Moncton, ce sera en tant que roi du Canada.
Notre pays est totalement indépendant depuis des décennies, et ses politiques ne sont plus décidées au palais de Westminster. Au pays, on parle de la Couronne canadienne et, si vous ne me croyez pas, allez faire un tour sur le site Internet du gouvernement fédéral. La monarchie n’est pas anachronique. Ce qui l’est, c’est de parler de « sujétion à la Couronne britannique ». Elle existait autrefois, elle appartient depuis longtemps au passé.
Nous n’avons pas un chef d’État étranger. De facto, le roi Charles III est Canadien quand il revêt les symboles de notre pays et quand il effectue un déplacement sur notre sol.
Le fait qu’il soit représenté par une ou un gouverneur général à qui il délègue ses fonctions, tandis que le Premier ministre du Canada assume la réalité du pouvoir politique, est une construction constitutionnelle intéressante et même idéale.
Nos voisins des États-Unis n’ont pas cette chance. Ne voyez-vous pas à quel point la société américaine est de plus en plus fracturée ? Voulez-vous courir le risque d’avoir, un jour, un président à l’image de Donald Trump ? Voulez-vous cela pour le Canada ?
Symbole de la permanence de l’État et d’une autorité morale au-dessus des partis politiques, la Couronne est un précieux garde-fou dont il serait périlleux de se départir. C’est un formidable bouclier de protection contre les dérives totalitaristes ou populistes. Plus que jamais, nos institutions et notre tissu social ont besoin de la tempérance que seule la monarchie constitutionnelle et parlementaire peut leur offrir.