Éditorial

L’Université de l’Acadie


Damien Dauphin
Rédacteur en chef
damien@moniteuracadien.ca



Notre chroniqueur Jean-Marie Nadeau a tapé dans le mille en faisant resurgir la question du nom de l’Université de Moncton. Il va de soi que le Moniteur Acadien approuve et soutient sa démarche. Radio-Canada a fait un suivi sur le sujet et nous les en remercions. Le débat ne fait que commencer.

L’Université de Moncton fête ses soixante ans d’existence cette année. Le calendrier est propice à un aggiornamento qui coïncide avec un mouvement plus général de redéfinition de nos marqueurs identitaires. Jean-Marie Nadeau a cité quelques exemples récents de changement de nom pour illustrer son propos.

La démarche n’est pas nouvelle dans l’histoire de l’humanité. Elle se décline de bien des manières. Changer de nom ne signifie pas que l’on modifie intrinsèquement notre identité. Au fond d’elle-même, Marilyn Monroe est toujours demeurée Norma Jeane Baker. Cela étant dit, que nous parlions d’une star hollywoodienne ou d’une institution publique, le nom est fortement corrélé à l’image qui en est projetée.

Cela fait longtemps que l’Université de Moncton se définit elle-même comme «l’Université acadienne par excellence». Son identité officielle devrait le refléter. Le fait qu’elle porte le nom, avec une graphie légèrement déformée, d’un général britannique qui a orchestré le génocide des Acadiens s’explique par des raisons historiques et géopolitiques dont il n’est plus possible d’exciper en 2023.

Qu’une institution universitaire porte le nom de la ville où elle a son siège n’est pas saugrenu en soi. Dans le cas précis de l’Université de Moncton, l’absurdité résiderait plutôt dans le fait que ce nom est aussi appliqué aux campus d’Edmundston et de Shippagan, au nord de la province. Partant de là, il n’est pas exclu que la proposition de Jean-Marie Nadeau y recueille davantage de soutiens que dans le sud-est.

La dimension provinciale de notre université, présente dans trois régions francophones, est de nature à justifier son renommage en Université de l’Acadie. D’autres noms sont possibles, mais nous croyons que la rebaptiser du nom d’une personnalité vivante ou morte ne serait pas opportun pour faire passer le message que nous souhaitons envoyer.

C’est là le cœur du problème : faire passer un message à travers des symboles. À titre d’exemple, savez-vous que le royaume du Swaziland, État voisin de l’Afrique du Sud, fut rebaptisé il y a cinq ans en royaume d’Eswatini (littéralement, «le pays des Swazis»)? Swaziland était un nom hybride entre l’anglais et la langue nationale. En fait, le pays a repris le nom qui était le sien avant la colonisation. Ce geste fut posé pour les 50 ans de son indépendance. Certes, l’Eswatini n’est pas un modèle d’État démocratique, mais là n’est pas la question.

En supposant que l’Université de Moncton soit renommée Université de l’Acadie, ou tout autre nom qui rencontrerait l’agrément des parties prenantes, les diplômes délivrés sous l’ancienne dénomination n’en seraient pas pour autant invalidés. Le principe successoral, reconnu en droit public, s’appliquerait de facto. L’Université de l’Acadie serait de droit la dépositaire naturelle des diplômes de l’Université de Moncton, comme cette dernière le fut de ceux que délivra le Collège Saint-Joseph.

Parmi les voix qui s’élèvent pour prendre position contre la proposition de Jean-Marie Nadeau, certaines avancent que le nom de l’université est en lui-même un pied-de-nez à la mémoire de Robert Monckton. Ce n’est pas faux, mais le meilleur moyen de le faire se retourner dans sa tombe pour l’éternité est bien de renommer Université de l’Acadie notre institution post-secondaire, et ce sans changer le nom de la ville comme d’autres personnes le suggèrent.

En effet, qu’est-ce que Moncton en 2023? La plus grande ville du Nouveau-Brunswick n’est pas seulement la première ville bilingue du Canada depuis une vingtaine d’années. C’est une métropole où chacun est désormais libre de parler en français, même si tout le monde n’y fait pas spontanément usage de ce droit chèrement acquis. C’est aussi une ville où siège le Consulat général de France dans les Provinces atlantiques ; une ville qui doit une part non négligeable de sa croissance économique aux francophones, et où les Acadiens règnent sur le milieu des arts et de la culture.

Par conséquent, sans toucher au nom de la ville dont la déformation orthographique fait déjà injure au personnage auquel elle fait référence, rebaptiser l’Université de Moncton en Université de l’Acadie serait le dernier clou enfoncé sur le cercueil du général qui voulait faire disparaître tout un peuple. La lettre K, absente de la graphie de Moncton, symbolise le karma de ce pauvre Robert Monckton. Il croyait avoir réussi son entreprise de dépopulation mais son échec historique, sanctionné par la renaissance acadienne («Resurgo»), serait ainsi entièrement consommé.

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