Culture

Ton français est aussi bon que l'autre


S’il y a quelque chose qui me dérange au maximum, c’est de rencontrer une personne du sud-est pour la première fois et qu’elle s'excuse de ne pas parler le bon français. Ça me sidère, et ça m’indispose! Il n’y a pas de français meilleur que d’autres, puisqu’ils sont tous différents à cause des accents. On confond accent et langue. Les gens du Madawaska et du nord-est ont moins “d’insécurité linguistique” parce que leur parler est plus similaire à ce qu’on entend à la radio ou à la télé…Mais dans les faits, il y a tout simplement un phénomène qui s'appelle les “variations linguistiques” qui fait que toutes les façons de parler français se valent.

Annette Boudreau est une des plus grandes intellectuelles acadiennes en ce 21ième siècle. Elle est originaire du sud-est. Elle est une des linguistes qui a probablement le plus étudié les parlers acadiens. Elle a entre autres publié le livre intitulé “Insécurité linguistique en Acadie 1867-1970”. Sans en faire un résumé ou une synthèse, je me suis beaucoup inspiré de ce livre pour produire cette chronique. Quand vous trouverez des expressions avec des guillemets, vous saurez que ça provient de ce livre.

“Le français est pluriel”. Historiquement, les Acadien.nes ont vécu de l’”insécurité linguistique”, surtout dans le sud-est du Nouveau-Brunswick. Parce qu’ils-elles ne parlaient pas comme les autres, ces personnes ont développé de “l'autodénigrement” et ont appris à « dévaloriser » leur langue française parlée sans justification autre qu’une faible estime de soi collective. Il y a même eu à Radio-Canada dans les années 50-60 une émission de radio intitulée “Parlons mieux". Une telle émission a inévitablement généré chez la population acadienne du sud-est en particulier un sentiment d’être dans l’erreur, ce qui l’a amené à déprécier sa propre façon de parler.

On ne parle pas ici du chiac qui à tort est considéré comme étant parlé par l’ensemble de la population du sud-est alors qu’il reste principalement un phénomène urbain Dieppe-Moncton, lequel Moncton a été perçu par certains comme “un lieu de perdition linguistique”. J’aime le chiac: il me charme. Mais ça reste avant tout un phénomène sociologique porté surtout par certains intellectuels, et oui par plusieurs adultes, mais beaucoup par les adolescents qui veulent ainsi se démarquer. Ce n’est pas une langue, mais un langage,comme le verlan l’est à Paris.

Cet autodénigrement lié à sa langue parlée a malheureusement réduit de grands pans de la population au “silence” qui étaient gênés de parler en public. Mais la venue d’une radio communautaire comme CJSE a donné toute sa place aux variations linguistiques, ce qui fait en sorte qu’on n’est maintenant fier de pouvoir s’entendre parler et vivre dans notre français à la radio.Ceci étant dit, ça veut aussi dire que l’on doit continuellement essayer de perfectionner notre langue en lisant, en écoutant et en regardant des médias en français d’ici et d’ailleurs

Parler votre français doit cheminer “d’un objet de honte” vers “un objet de distinction" pour lequel vous êtes fiers. Il n’y pas vraiment de français “standard”. Ceux et celles qui pensent qu’ils ou elles possèdent cet attribut sont des prétentieux. Plus jamais , à l’avenir, et je me répète, je ne veux entendre une personne du sud-est dire en s’excusant qu’elle ne parle pas bien le français. Soyez fiers de qui vous êtes, comme disait Roland Gauvin de 1755!



Jean-Marie Nadeau
jmlacadie1@gmail.com