La première canadienne du nouveau film documentaire du cinéaste acadien Phil Comeau, Racines, Diaspora & Guerre, a été présenté dimanche au Théâtre l’Escaouette de Moncton dans le cadre du FICFA. Le film a déjà glané 91 prix à l’international dans différents festivals.
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Damien Dauphin
IJL – Réseau.Presse – Le Moniteur Acadien
Phil Comeau suit la chanteuse Isabelle Cyr, originaire de Cocagne, dans une quête généalogique qui la conduit sur les traces de ses ancêtres. Du Poitou à la Bretagne, en passant par diverses régions de l’ancien royaume des lys, le parcours est émaillé d’émouvantes surprises.
(Françaises d’origine acadienne, Catherine Landry et sa fille Amandine Servant sont coprésidentes de la Maison de l’Acadie à La Chaussée. Amandine s’est établie à Moncton il y a quatre ans, au plus près de ses racines acadiennes. Photo : Courtoisie)
À La Rochelle, un entretien de l’artiste avec Jacques Nerrou, descendant des Melanson et président de Racines et rameaux français d’Acadie, fait du spectateur le témoin d’une révélation inattendue.
« La Rochelle est le point de départ de beaucoup de bateaux vers la Nouvelle-France et l’Acadie. Pour moi, la famille Cyr est originaire de la région de La Rochelle. Le Cyr que je situe à La Rochelle était armurier », dit-il à Isabelle qui soudain s’émeut et ne peut que balbutier.
« C’est complètement fou car on n’a jamais su d’où venait notre ancêtre. La seule chose qu’on savait, et c’est mon frère qui me l’a apprise récemment, c’est que Pierre Cyr était armurier », lui répond-t-elle avec les yeux dans l’eau. L’acte de baptême de son ancêtre, en date du 26 mars 1640, a été retrouvé dans les registres paroissiaux.
(À La Chaussée, Isabelle Cyr découvre avec émotion qu’elle a des ancêtres communs avec Lucien Germe qui lui fait visiter l’église paroissiale. Photo : Courtoisie)
Dans une autre séquence, alors qu’elle discute avec un généalogiste français descendant du fondateur de la lignée acadienne des Boudreau, Isabelle Cyr découvre avec stupéfaction qu’il s’agit là aussi de l’un de ses ancêtres et que l’homme qui lui fait cette révélation, Lucien Germe, est donc son lointain cousin.
Traits de famille
De cousinage, il est également question avec Gaston Terriot, à qui la chanteuse rend visite. Malgré une séparation de deux siècles, il a découvert qu’il ressemblait de manière frappante à l’un de ses cousins de Shippagan. « Quand je suis arrivé dans le village où ils étaient, ils ont tous été surpris, c’était comme si leur père revenait. J’avais exactement le physique de leur papa », dit-il. « Cette ressemblance, après seize générations, a stupéfait tout le monde. Elle était flagrante, on aurait dit des frères », ajoute sa fille Marie-Hélène.
Cela ne surprend pas du tout Marie-Thérèse Landry, présidente du Conseil provincial des sociétés culturelles, que Le Moniteur Acadien a rencontrée à l’issue de la projection. « C’est tellement vrai ce qu’on entend dans le film sur les traits génétiques. Par exemple, dans mon village natal en Gaspésie, les Cormier avaient des traits particuliers et on retrouve les mêmes ici. »
Vraisemblablement, Marie-Thérèse Landry est elle-même une parente éloignée d’Amandine Servant, coprésidente de La Maison de l’Acadie à La Chaussée (Poitou) avec sa mère, née Catherine Landry. Les deux coprésidentes ont expliqué à Isabelle Cyr que, pour elles, tout avait commencé par des recherches généalogiques.
« À la Maison de l’Acadie, ce n’est pas juste l’histoire d’un peuple qu’on a déporté. On ne se contente pas d’entretenir la mémoire, on explique aux gens que l’Acadie, c’est vivant. C’est la résilience des Acadiens », affirme Catherine Landry à Isabelle Cyr.
Une boucle historique
1500 Acadiens sont arrivés à Châtellerault en 1773. 90% ont ensuite pris le chemin de la Louisiane dont ils ne connaissaient rien. Nantes a accueilli 2000 Acadiens dans la dernière partie de l’histoire de la déportation entre 1775-1785. En Louisiane, les exilés se sont émancipés dans le contexte du Nouveau-Monde. Avant que ne soit inventée l’expression, ils ont vécu « le rêve américain », selon un historien.
« Je ne peux pas imaginer la douleur que cette déportation a été pour mes ancêtres », soupire l’artiste qui, durant son voyage, a écrit et composé une chanson qu’elle a intitulée « Pour arriver à toi ». « Pour moi, cette tragédie est biblique », lui fait écho Alain Dubos, auteur et vice-président d’Amitiés France-Acadie. La moitié des déportés acadiens n’ayant pas survécu au « Grand Dérangement », ce dernier évoque des proportions comparables aux grands génocides du vingtième siècle.
Dans ce documentaire qui présente des reconstitutions fictives tournées en noir et blanc pour accentuer le contraste avec le cheminement d’Isabelle Cyr, la vie côtoie la mort à travers les âges. C’est sur les plages de Normandie, plus particulièrement à Saint-Aubin et à Courseulles-sur-Mer, que se termine le voyage.
« De leur départ vers le Nouveau-Monde jusqu’à leur participation au Débarquement du 6 juin 1944, j’ai beaucoup apprécié la juxtaposition des différentes occurrences où les Acadiens se sont trouvés sur le sol de France. Phil Comeau a vraiment le don de filmer avec intelligence et sensibilité. Il n’y a pas de lourdeur ni de pathos dans la quête d’Isabelle Cyr, malgré certains moments où l’émotion est évidente », commente Chantal Véchambre, résidente de Dieppe et originaire de France.
De façon aussi intéressante que symbolique, le film déroule une boucle historique. Les descendants français des Acadiens déportés sont dits « d’origine acadienne », alors que leurs ancêtres acadiens étaient eux-mêmes d’origine française.
Racines, Diaspora & Guerre sera diffusé dimanche prochain à 19h30 sur les ondes de Radio-Canada.