Chroniques

Est-il possible d’être trop patriote ?


Jean-Marie Nadeau
jmlacadie1@gmail.com


La réponse simple à cette question est oui. Le patriotisme des Allemands lors de la dernière guerre et celui des trumpistes américains d’aujourd’hui sont exacerbés, envahissants, prétentieux. Quand tu prétends que ton peuple est meilleur que les autres, tu transgresses les limites acceptables.
Pire, quand tu prends les armes pour envahir les autres peuples pour imposer ta culture, tu deviens mécréant. Eh oui, le patriotisme peut être dangereux quand il est poussé à l'extrême.

Je viens de lire un autre livre sur Patente. J’ai été saisi avec horreur comme quoi plusieurs membres de la Patente étaient carrément des fascistes. Ils soutenaient surtout le fascisme de Benito Mussolini, premier ministre de l’Italie. On mélangeait beaucoup la religion catholique au patriotisme d’antan. On considérait le fascisme moins dangereux et répréhensible que le communisme, par exemple. On prônait même la supériorité de la race canadienne-française, ce qui pour moi est une aberration et un concept antipatriotique.

S'il est possible d'être trop patriotique comme je l’ai relaté plus haut, il est difficile d'être trop patriotique acadien. Une des raisons principales, c'est que nous sommes un jeune peuple toujours en voie d'affirmation nationale. Mais nous sommes aussi un peuple en voie de disparition. Cette dernière menace commande que l'Acadie ait le maximum de patriotes pour nourrir la résistance et la résilience nécessaires à notre épanouissement et à notre survie. Et nous n’avons aucunement l’intention d’envahir qui que ce soit.

Comme peuple, nous n'avons pas à nous comparer aux autres pour tenter de nous définir comme le meilleur des peuples. Les relations entre les peuples ne sont pas une compétition. Mais nous avons le devoir et l'obligation de faire de notre peuple, le meilleur peuple acadien possible. Et ça, ça demande beaucoup de patriotisme.

Le patriotisme acadien d’aujourd’hui doit focaliser sur ce qui fait grandir l’Acadie, et la fait s’épanouir. C’est un combat positif. Être anti-anglais ne fait pas partie du patriotisme acadien. Être contre quelqu’un, c’est contre-productif, c’est une perte de temps. J’ai probablement plus d’amis anglophones que la moyenne des Acadiens en a. La vie est trop courte pour haïr et pas assez longue pour aimer, pour s’aimer comme peuple. On ne peut pas être patriote et raciste en même temps.

En quoi est-il trop patriotique que d’exiger des services en français? En quoi est-il trop patriotique de soutenir les organismes acadiens et d’y militer?En quoi est-il trop patriotique que de soutenir les médias francophones, et de s’y abonner? En quoi est-il trop patriotique de se considérer tout le temps un citoyen égalitaire, et jamais comme minoritaire? Est-ce trop patriotique que de se sentir suffisamment fier et confiant au point de vouloir inclure avec enthousiasme les nouveaux arrivants? En quoi est-il trop patriotique que de souhaiter la plus grande autonomie politique et économique possible pour le peuple acadien?

Avec la loi 88, nous avons réussi à faire au moins reconnaître sur papier l’égalité des deux communautés linguistiques. Mais la réalité est loin d’en faire la confirmation. Il n’y pas d’égalité réelle en matière de santé et d’éducation. Est-ce trop patriotique que de vouloir l’égalité réelle en ces deux domaines? Nous pouvons être des patriotes mous ou durs: moi, je choisis d'être dur.

Aspirer à la plus grande autonomie acadienne au-delà du pouvoir municipal acadien, est-ce envisageable? On a déjà émis l’hypothèse d’une province acadienne. On n'a jamais exploré le concept de territoire acadien, comme celui du Nunavut. L’organisation Nation Prospère Acadie prône l'idée d’une grande Assemblée communautaire, qui pourrait ressembler à celle de territoire. Est-ce trop patriotique que d’imaginer une solution politique autonomiste pour notre peuple? Tel récupérer le pouvoir de contrôler l'immigration dans nos régions?

On m’accuse d’être un grand patriote, même radical: je plaide coupable. Mais, j’en ai bavé à l’être, quoique je ne regrette rien, comme chantait Piaf. Ça m’a coûté cher émotionnellement, financièrement et politiquement. Je suis peut-être pauvre dans mes poches, mais millionnaire dans mon cœur et dans mon âme d'Acadien. Je remarque que chez de nombreux riches acadiens, plus leur portefeuille grossit, plus leur patriotisme rétrécit, sauf pour plusieurs belles exceptions.

Souvent, les pires ennemis d’un peuple sont des membres de ce même peuple. Il semble que, en tant qu’individu, je fasse davantage peur à l’establishment acadien qu’à la communauté anglophone. Je n’en tire aucun plaisir. Mais, je préfère faire plus peur à l’establishment acadien qu’au peuple acadien. Étant un homme de dialogue, je préfèrerais plus converser avec ceux qui ne pensent pas comme moi, que de leur faire peur.
J’ai conclu dernièrement une chronique en évoquant l’idée que l’Acadie se meurt. C’est avec peine et tristesse que je réitère cette assertion. Il faut que collectivement nous changions radicalement nos façons de nous affirmer, car celles que nous avons employées jusqu’à maintenant nous a menés à des échecs. Peut-être n’avons-nous pas été assez patriotiques?