Selon un météorologue de Moncton, des événements climatiques comme l’ouragan Fiona sont appelés à se reproduire de plus en plus. Il croit qu’au lieu de chercher à affronter la nature indomptable, l’homme devrait au contraire s’adapter aux changements à venir en s’éloignant du front de mer.
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Damien Dauphin
IJL – Réseau.Presse – Le Moniteur Acadien
Au lendemain de Fiona, l’heure était déjà au nettoyage pour les résidents frappés de plein fouet par l’ouragan. Sur les plages dont le stationnement avait été fermé aux voitures, quelques piétons profitaient d’un calme post-apocalyptique. À côté des badauds curieux, se trouvaient pourtant quelques « spécialistes » venus constater les dégâts avec un œil scientifique. Le Moniteur Acadien les a rencontrés fortuitement.
Venu de Calhoun, Roland possède un baccalauréat en biologie marine. L’aménagement des zones côtières était son projet de maîtrise. Il s’est rendu au quai Pointe-du-Chêne et à la plage Parlee.
« Heureusement que je n’ai pas de maison ici, sinon je m’inquièterais », dit-il d’emblée.
« La moitié de l’été il y avait les pancartes rouges qui indiquaient des coliformes fécaux dans l’eau. Personne ne nageait. Et à tous les coups qu’il y a une tempête ça brasse la marde dans le fond. L’eau est polluée, et là on est en train de laver dans l’océan les cochonneries qui sont sur les zones côtières. Ça va digérer dans le détroit de Northumberland », ajoute-t-il.
Roland s’interroge sur la viabilité des habitations le long des côtes, et il n’est pas le seul. Vingt kilomètres plus loin, à la plage Aboiteau de Cap-Pelé, la casse était plus importante qu’à Shediac. Si les installations qui abritent notamment le restaurant À la dune et la brasserie Cavok ont bien résisté aux assauts du vent et de l’onde de tempête, il n’en est pas de même de la longue passerelle qui relie la plage au stationnement le plus éloigné : elle est détruite.
L’humanité va devoir s’adapter
Réal Daigle, un météorologue à la retraite, était sur place pour observer les conséquences de l’ouragan. Il travaille à présent pour CLIMAtlantic, une organisation qui aide les personnes, les collectivités et les acteurs économiques à se préparer aux changements climatiques. Spécialisé dans la recherche appliquée liée aux impacts de ces changements, soit à l’élévation du niveau de la mer et aux ondes de tempêtes qui inondent les côtes du Canada atlantique, il a préparé des scénarios pour la planification et l’adaptation à la montée des océans et aux inondations côtières sur l’ensemble du littoral de la province.
(Météorologue de métier et spécialiste des changements climatiques, Réal Daigle éduque le public et l’encourage à faire preuve d’adaptation face à la puissance de la nature. Crédit : Damien Dauphin)
« Je remarque que le niveau d’eau qui a été atteint samedi matin va être un niveau record. Le précédent datait de janvier 2020. D’ici la fin du siècle, on peut s’attendre à ce que le niveau moyen de la mer s’élève d’environ un mètre », annonce-t-il.
Réal est d’avis qu’avec les changements climatiques, le risque d’avoir fréquemment des tempêtes de la même intensité que Fiona existe bel et bien. De tels ouragans pourraient même garder leur magnitude plus longtemps avant de frapper nos côtes. Cela dit, une trajectoire n’est jamais déterminée d’avance. Le risque que la région soit frappée de nouveau est minime, mais néanmoins réel.
Le spécialiste conseille d’arrêter les constructions sur le front de mer, et de se replier davantage vers l’intérieur des terres. Selon lui, lutter contre la nature en créant des digues artificielles est peine perdue. Il préconise une approche plus écoresponsable qui compose avec la nature.
« Il ne faut pas mettre des blocs de ciment ou des roches. On encourage l’adaptation naturelle. Avec le phénomène de l’érosion, il faut laisser de la place à la mer. »
Réal Daigle fournit un soutien professionnel aux municipalités, aux Premières Nations et aux groupes communautaires pour les aider à comprendre et à intégrer les informations climatiques dans leur prise de décisions.
« C’est un phénomène extraordinaire qui est arrivé avec l’ouragan Fiona. Des maisons ont été perdues à la mer. Ça va peut-être ouvrir les yeux aux gens de voir ce qui peut arriver dans le futur. On vient de voir le futur. »
(La passerelle qui relie les installations de la plage Aboiteau au terrain de stationnement le plus éloigné a été brisée par l’onde de tempête. Crédit : Damien Dauphin)
Enrochement du rivage : un résident du comté de Kent s’estime lésé
Raymond « Bou » Duplessis possède un terrain de camping à Saint-Édouard-de-Kent, à côté de Bouctouche. Ses chalets ont moins souffert que ceux situés plus au sud, mais il craint de ne pas avoir autant de chance à l’avenir. Il blâme un refus de permis d’enrochement que lui oppose Fredericton.
« J’ai perdu 20-25 pieds de plage, et puis on est en train de perdre nos belles dunes de sable. Ça fait trois ans que j’essaie de dire au ministère de l’Environnement que je veux protéger ça. Ils m’ont laissé faire les premiers 500 pieds mais quand j’ai acheté le terrain à côté, j’ai été bloqué. »
Raymond Duplessis s’est exprimé lundi matin à La Matinale de Radio-Canada. Il croit que le ministère l’empêche délibérément de protéger sa propriété, « à cause d’une vieille chicane », alors que tout le monde autour de lui dans la baie de Bouctouche a obtenu de tels permis. Il va de nouveau présenter une demande et se dit prêt, le cas échéant, à porter sa cause devant les tribunaux.