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Mort aux urgences : le cri d’alarme d’une communauté endeuillée


« Des gens meurent. Trop, c’est trop. Il est temps de régler le problème. » C’est parce que l’un des siens est la dernière victime en date d’un système de santé défaillant en raison d’une pression extrême que l’Association musulmane de Moncton a organisé une manifestation devant l’hôpital, samedi dernier.


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Damien Dauphin
IJL – Réseau.Presse – Le Moniteur Acadien



Mardi 22 novembre, un patient en attente de soins est décédé aux urgences de l’Hôpital de Moncton (Horizon). Ce dernier était un père de famille de cinq enfants, âgé dans la cinquantaine. Membre de l’Association musulmane de Moncton (AMM), il a déjà été inhumé conformément à ses traditions ancestrales selon lesquelles il se passe rarement plus d’une journée entre le décès et l’inhumation.

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(Le député de Baie-de-Shediac-Dieppe est venu présenter ses condoléances à Abdal Khan, président de l’Association musulmane de Moncton. Crédit : Damien Dauphen)


Suite au décès de ce patient, le Dr. Serge Melanson, urgentologue de l’hôpital, a émis une déclaration dans laquelle il rapporte que le service était dans «un état critique de surcapacité», ce que Le Moniteur Acadien a pu constater par lui-même ce soir-là de façon totalement fortuite. La salle d’attente était bondée, et il n’y avait aucune place de libre sur le stationnement extérieur. Au même moment, peu avant minuit, il y avait une quinzaine de personnes en salle d’attente des urgences de l’hôpital Dr.-Georges-L.-Dumont (Vitalité).


Serge Melanson a expliqué que le patient, qui s’était présenté avec un «grave problème de santé», avait été «trié de façon appropriée et placé dans la salle d’attente principale en attendant qu’une salle d’examen se libère». Il avait toutefois passé des tests préliminaires et il était surveillé par des employés en attendant de pouvoir être vu par un médecin. Malheureusement, son état s’est rapidement détérioré et l’homme est décédé vers 3h30 en salle de réanimation.

Une mort solitaire

Dans un cri d’alarme publié en anglais sur sa page Facebook, l’AMM précise que la victime, qui avait subi une transplantation rénale, avait reçu par écrit des instructions strictes lui demandant de retourner immédiatement aux urgences de l'hôpital s'il ressentait des douleurs au dos ou à la poitrine.

«Une personne ayant une telle condition doit être traitée rapidement», écrit l’Association qui remet en doute le caractère approprié du triage ce soir-là.

«Il est décédé sans avoir eu d'interaction significative avec un médecin ou une infirmière avant de s'effondrer dans la salle d'attente des urgences, poursuit l’AMM. Des témoins rapportent qu'au cours de son séjour, il a dit plusieurs fois au personnel de l'hôpital qu'il croyait être en train de mourir.»

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(Des manifestants ont brandi le portrait de la victime, un homme dans la cinquantaine qui venait de subir une lourde opération chirurgicale et de recevoir son congé de l’hôpital. Crédit : Damien Dauphin)


L’Association rapporte que des patients sont dans un état critique alors qu'ils sont allongés dans des ambulances stationnées à l'extérieur des hôpitaux, que des patients meurent après de longues attentes et que certains services fonctionnent parfois avec seulement cinq infirmières au lieu des 15 dont ils auraient normalement besoin pour fonctionner adéquatement. Elle dénonce une situation «grossièrement inacceptable», et que «nul ne devrait connaître une mort solitaire sur le siège en plastique d’une salle d’attente».

«Il faisait partie de ceux qui avaient le cœur le plus pur, c'était un père de famille à la voix douce, et il était toujours connu pour son sourire. Il était aimé de tous. C'est une perte majeure pour notre communauté, elle est ressentie par chacun d'entre nous et nous fait très mal», dit Abdal Khan, président de l’AMM.

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(Deux infirmières se sont jointes aux manifestants en signe de solidarité. Crédit : Damien Dauphin)


Pays du Tiers-Monde

Cette association a donc décidé de battre le pavé et d’organiser une manifestation pacifique devant l’hôpital de Moncton samedi après-midi. Près d’une centaine de personnes se sont réunies pour lancer un cri du cœur. Parmi elles, de nombreux citoyens issus de l’immigration et provenant, pour la plupart, de pays du Tiers-Monde où, si les soins de santé ne sont pas aussi performants qu’au Canada, on n’attend pas aussi longtemps qu’ici pour être pris en charge.

De nombreux nouveaux arrivants sont souvent décontenancés, voire choqués, devant les délais d’attente pour voir un médecin. Une attente interminable durant laquelle, clament-ils, le pire peut se produire. Originaire du Ghana et ami du défunt, Mohammad Tom est sous le choc de la tragédie dont il vient d’être témoin. Installé dans la région depuis plus de sept ans, il ne comprend pas que le Canada, pourtant à la fine pointe technologique, rencontre de tels défis qui le rabaissent au rang d’un pays sous-développé.

«Quand on parle du Canada, c’est vraiment désolant de voir des personnes qui meurent dans les salles d’attente, dit-il. On ne pas passer 8, 9 ou 10 heures à l’urgence, c’est trop. C’est très décevant pour un immigrant qui vient et qui voit des choses comme ça au Canada. C’est très difficile d’expliquer ça en Afrique.»

Les manifestants enjoignent le gouvernement à trouver des solutions pour qu’un tel drame, le troisième du genre cette année, ne se reproduisent pas. Certains rappellent que des immigrants qualifiés ont dû quitter la province ou changer de métier, faute de pouvoir exercer leur profession médicale au Nouveau-Brunswick en raison d’obstacles structurels.