Viola Léger, première interprète de la Sagouine d’Antonine Maillet à qui elle a donné ses traits, sa voix et sa gouaille, est décédée samedi 28 janvier 2023.
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Damien Dauphin
IJL – Réseau.Presse – Le Moniteur Acadien
Au cours d’une existence qui s’est étirée sur neuf décennies, Viola Léger a peut-être vécu plusieurs vies. Certes, pour l’Acadie du Nouveau-Brunswick, elle demeurera toujours «la vraie Sagouine», celle qui a créé ce rôle qu’elle a joué pendant 46 ans, soit la moitié de son parcours terrestre. Mais elle fut aussi enseignante, mentor et même, alors jeune septuagénaire, sénatrice du Canada. Dimanche dernier, sur les réseaux sociaux qui bruissaient d’hommages rendus à la défunte, un terme est revenu à plusieurs reprises sous la plume de personnalités politiques : celui d’ambassadrice.
«Cette grande dame a été une excellente ambassadrice de l'Acadie au niveau culturel, académique et politique de notre province et pays», écrit Daniel Allain. «Jamais l’Acadie n’aura eu une aussi fidèle ambassadrice que Mme Léger pour qui le personnage de la Sagouine fut non seulement le rôle d’une carrière et d’une vie, mais représenta aussi un symbole de grande fierté et de ténacité pour tous les Acadiens et Acadiens», ajoute Ginette Petitpas Taylor. «L’Acadie perd sa plus grande ambassadrice, une raconteuse extraordinaire qui a marqué à jamais nos esprits et les pas que nous prenons ensemble», relève Kevin Arseneau.
Après ses études en Acadie, Viola Léger s’est consacrée à sa première passion : l’enseignement. Pendant 15 ans, elle a enseigné la littérature et l’art dramatique au niveau secondaire, d’abord au Collège Notre-Dame-d’Acadie et, par la suite, à Grand-Sault, Moncton et Shédiac. Elle a obtenu une maîtrise en enseignement du théâtre de l’Université de Boston et a reçu une formation à Paris auprès du célèbre homme de théâtre Jacques Lecoq.
C’est au sein de la Congrégation des Religieuses Notre-Dame-du-Sacré-Cœur, dont elle fit partie pendant 21 ans, que son amour pour le théâtre s’est révélé. Étonnamment, Madame Léger est devenue comédienne presque par accident grâce à son amie Antonine Maillet qui, avant le lancement du livre «La Sagouine» à l’Université de Moncton, lui proposa d’en interpréter quelques extraits. Conquis, le public en a encouragé une production théâtrale en 1971. C’est ainsi qu’est né un personnage légendaire, une humble femme de ménage acadienne qui raconte avec intelligence, humour et dignité une vie de pauvreté, tout en révélant les injustices qui l’entourent. Le reste appartient à l’histoire, voire à la légende de l’Acadie tant contemporaine qu’éternelle. Ce rôle conduisit Viola Léger à sillonner le monde.
(Viola Léger lors du Congrès mondial acadien de 2019, participant avec ses proches au rassemblement de la famille Léger. Crédit : Normand A. Léger)
La dramaturge Antonine Maillet pleure son amie de toujours, du même âge qu’elle, à laquelle elle était très liée depuis leur jeunesse. «C’est plus que la Sagouine qui nous unissait, c’était l’âme acadienne. Moi, je n’ai fait que concevoir la Sagouine. Elle, elle l’a rendue publique en l’incarnant sur scène. Et elle l’a fait avec grand talent, mais plus que ça : avec réalité. La Sagouine devenait vivante à cause de cette comédienne qui incarnait plus qu’un personnage. Elle incarnait presque un peuple.»
Elle était plus que la Sagouine
Au cours de sa carrière de comédienne, Viola Léger fut cependant plus que la Sagouine, embrassant ainsi une trentaine de rôles. Le pianiste Julien LeBlanc, co-directeur artistique de l’Été musical de Barachois, se souvient l’avoir vue dans la pièce «Harold et Maude», au côté du jeune Roy Dupuis. Julien avait alors 9 ans et la performance l’a beaucoup impressionné.
«Je me souviens encore de sa présence sur scène ce soir-là dans l’amphithéâtre de la Polyvalente Clément-Cormier à Bouctouche, écrit-il. Ça m’a marqué à tout jamais et si mon souvenir est bon, c’est en revenant de cette pièce que, dans l’auto, j’ai demandé des cours de piano.»
Viola Léger avait elle-même un grand-père du nom de Julien LeBlanc, et c’est un peu comme une grand-mère qu’elle encourageait le musicien, de la même manière qu’à travers la fondation qu’elle avait créée dans les années 90, elle aidait les jeunes à se lancer dans le théâtre.
«En 2010, elle me fit un magnifique cadeau en acceptant de réciter « L’histoire de Babar le petit éléphant » dans un concert au Monument-Lefebvre. Quelle chance de pouvoir la côtoyer de près, d’avoir le plaisir qu’elle partage avec moi plein d’anecdotes sur sa carrière, ses craintes. Elle avait encore le trac à presque 80 ans!» se souvient-il.
Couverte de gloire et d’honneurs, Viola Léger avait quitté les planches et s’était retirée de la vie publique en 2017 après avoir souffert d’un accident cardio-vasculaire. Les détails concernant ses funérailles seront précisés prochainement.