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L’économie collaborative : une révolution post-industrielle ?


Les crises ne changent rien : elles ne font qu’accélérer les mutations déjà en cours, comme le télétravail. La richesse consiste bien plus dans l’usage que dans la possession, disait le philosophe grec Aristote il y a 2400 ans. Le monde actuel nous invite à réfléchir à la gestion et à la mutualisation des actifs. Comment faire plus avec ce qui existe déjà ? Un expert apporte des éléments de réponse à cette question.

Où est l’économie collaborative ? Elle est partout. C’est une véritable lame de fond qui se soulève pour transformer la société. De la plus petite commission scolaire jusqu’au plus gros des ministères fédéraux, tous subissent l’impact de son émergence. Président du Groupe de travail sur l’économie collaborative du gouvernement du Québec, Guillaume Lavoie est venu donner une conférence sur ce thème à Dieppe.

Les graphiques qu’il a présentés sont éloquents. Début 2014, six secteurs étaient concernés par l’apparition de l’économie collaborative : le transport, l’espace, l’argent, les biens, la nourriture et les services. L’exercice fut répété à la fin de la même année pour voir quels étaient les nouveaux joueurs, et déjà il y avait du changement. Le secteur municipal, ceux de la santé et de l’éducation s’étaient greffés à l’alvéole. En 2016, celle-ci avait encore pris davantage d’ampleur.

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(De 2014 à 2016, l’expansion des secteurs touchés par l’émergence de l’économie collaborative.)


L’optimisation des ressources existantes est au cœur de la problématique. Le premier des fondamentaux qui permettent de différencier ce nouveau modèle économique de l’économie traditionnelle que nous connaissons réside dans l’utilisation de la capacité excédentaire. En ces temps inflationnistes qui font mal au portefeuille des consommateurs, la voiture offre un exemple concret.

Des actifs sous-utilisés

Après la maison, la voiture constitue le deuxième actif le plus important des ménages néo-brunswickois. En fonction du modèle, il leur en coûte entre 5000 et 9000 $ par année. Or, une voiture ne produit aucun rendement, ne rend aucun service et n’est d’aucune utilité 95% du temps, signale Guillaume Lavoie. Il a fait une révélation stupéfiante.

« Savez-vous combien il y a de sièges vides en mouvement au Québec dans une période de 24 heures ? Vingt-cinq millions ! Au Nouveau-Brunswick, la proportion se situe entre deux et quatre millions par jour, dans toutes les directions. C’est un réseau de transport invisible. En mutualisant l’usage de la voiture, on pourrait transformer les embouteillages en circulation plus fluide. »

Le deuxième pilier est l’accès aux biens par rapport à leur possession. La propriété semble être le moyen le plus immédiat d’accéder à quelque chose, mais la finalité, c’est l’accès. Dès lors que l’on dissocie l’accès de la propriété, on libère les capacités excédentaires d’un produit. Le troisième fondamental est l’abaissement des barrières d’entrée. Un véritable enfer sur Terre pour les administrations publiques, selon M. Lavoie. Cependant, il convient de réglementer le système.

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(Expert en économie collaborative, Guillaume Lavoie a donné une conférence sur ce modèle économique d’avenir qui est une forme de retour aux sources. Crédit : Damien Dauphin)


« Une réglementation floue ou hostile ne fait pas mourir les gros joueurs, dit-il. Un arbre vieux de cent ans ne va pas être renversé au premier coup de vent mais, si on n’y fait pas attention, le jeune pousse peut disparaître. Il serait donc dangereux, périlleux, irresponsable de permettre quelque chose sans être capable ou prêt à l’encadrer. »

Retour vers le futur

L’économie traditionnelle fonctionne sur une offre relativement fixe, tandis que le modèle collaboratif fonctionne sur une base ouverte. Les plus jeunes le comprennent instinctivement. Les enfants de cinq ans, dit Guillaume Lavoie, sont les plus grands experts en économie collaborative. Ils voient les choses sur la base de ce qu’elles peuvent faire, et non sur ce à quoi elles sont censées servir.

« Rien ne me fâche plus que de voir un centre communautaire à proximité d’une école. En termes d’infrastructures, c’est exactement le même actif. Ce dédoublement du potentiel est inutile, car leur temps d’utilisation est opposé. »

Héritage de la révolution industrielle, le modèle économique traditionnel est basé sur la ségrégation des fonctions. Auparavant, on vivait dans un monde où la table servait tantôt au repas de famille, tantôt pour travailler. Ainsi, l’économie collaborative annonce un retour vers une société d’artisans. C’est un changement fondamental car les lois en vigueur n’ont pas été conçues pour cela. L’avenir comme miroir du passé est cependant davantage porteur d’espoir que redoutable.

« Ce qui peut nous attendre demain est quelque chose que l’on connaît intuitivement. C’est le monde des petites communautés où le partage fonctionnait parce qu’il y avait une rétroaction et une confiance entre les individus. A partir du moment où on réalise cela, le futur n’est pas du tout inquiétant. »



Damien Dauphin
IJL – Réseau.Presse – Le Moniteur Acadien