Il est rare que l’Acadie fasse les gros titres d’un océan à l’autre du Canada. L’écho de la mort du chanteur Cayouche a résonné à travers le pays. Le Moniteur Acadien a recueilli des réactions dans le Sud-Est et le comté de Kent. Ceux qui l’ont connu et aimé, et qui le chantent aussi, se souviennent de cet artiste emblématique.
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Damien Dauphin
IJL – Réseau.Presse – Le Moniteur Acadien
Cayouche s’est éteint mercredi dernier à l’âge de 75 ans dans son domicile de Maisonnette (Péninsule acadienne). Le Moniteur Acadien ne reviendra pas de façon extensive sur sa biographie abondamment relayée par ailleurs depuis une semaine.
De son vrai nom Réginald Charles Gagnon, il était né à Sunnybrae, de nos jours l’un des quartiers de Moncton, le 7 janvier 1949. Vétéran de la guerre du Vietnam, il avait le côté baroudeur d’un Jack Kerouac. C’est seulement en 1994, il y a trente ans, que sa carrière d’artiste a pris son envol avec un premier album.
Fidèle à ses racines populaires, Cayouche chantait pour «le petit monde».
«C’était extraordinaire. Des plus jeunes aux plus vieux, il rejoignait toutes les générations qui se retrouvaient ensemble à ses concerts. Il était proche des gens», se souvient David Michaud qui a eu la chance de le voir se produire en spectacle.
Ses concerts étaient des rendez-vous où l’on se retrouvait entre amis pour écouter les histoires d’un homme qui avait vu le monde avec des yeux ouverts et un cœur généreux.
«Nous avons vu Cayouche en spectacle à quelques reprises. Ses chansons, autant comiques qu’elles étaient, nous résonnaient ce qu’il ressentait. Également, il ne semblait avoir aucun stress et il voulait être l’ami de tous. Cayouche était unique!» témoigne Maurice Cormier, un résident de Saint-Antoine-de-Kent.
Trois accords assez simples
Phénomène qui a jailli sur le tard comme un génie hors de la lampe magique, Cayouche a déjoué les quelques critiques initiales pour devenir l’un des artistes acadiens ayant vendu le plus d’albums. Si le rideau vient de tomber sur sa dernière scène, il lègue un patrimoine musical qui n’a pas fini d’être interprété.
Daniel Léger souligne l’impact qu’a eu Cayouche sur la carrière des musiciens qui l’ont suivi, dans la mesure où il fut l’un des premiers à vendre autant d’albums en Acadie. «Mes premières chansons, avec trois accords assez simples, ont suivi sa formule. Tout le monde en Acadie connaît des chansons de Cayouche et les a chantées.»
En spectacle lui-même aux Îles-de-la-Madeleine avec Daniel Goguen lorsque nous les avons contactés, ils ont interprété ensemble des chansons de Cayouche pour lui rendre hommage. «On sait que tout le monde va les chanter avec nous autres.»
Le temps d’une bière, Daniel Goguen et Cayouche ont discuté de tout et de rien lors du Frolic acadien à Sainte-Anne-de-Kent, en 2022. (Photo : Daniel Goguen)
Si Daniel Léger n’a pas personnellement connu Cayouche, en revanche Daniel Goguen l’a croisé à plusieurs reprises. La dernière fois, c’était il y a deux ans lors du Frolic acadien à Sainte-Anne-de-Kent. Leurs prestations se suivaient avec un intervalle de 25 minutes. Après que Daniel soit sorti de scène, et avant d’y monter lui-même, Cayouche l’a invité à s’asseoir avec lui pour jaser et boire une bière.
Assis sur une caisse de bière
«C’était le genre de gars, tu lui parlais pour cinq minutes et tu avais l’impression que ça faisait cinq ans que tu le connaissais, se remémore Daniel Goguen. Je suis heureux d’avoir eu la chance de partager la scène avec lui, ce sont de bons souvenirs. Les artistes acadiens vont faire en sorte que sa musique continue.»
Roger Maillet, de Grand-Bouctouche (Fond de la Baie), a lui aussi une anecdote à raconter avec en toile de fond une boisson à base de houblon. «Je me souviens d’être allé à un party privé chez Johnny Comeau, à Cap-de-Cocagne, et Cayouche était là, bien assis sur une caisse de bière! Il était un homme très accueillant et chaleureux qui aimait conter des ‘jokes’. Ce fut une soirée très plaisante avec Johnny et Cayouche. Je ne l’oublierai jamais! Cayouche prononçait mon nom Rauger!», se rappelle-t-il avec un grand sourire.
Le cinéaste Maurice André Aubin, qui a réalisé en 2009 le road-movie documentaire «Cayouche, le temps d’une bière», confie que le troubadour hippie avait su s’entourer des meilleurs musiciens que l’on pouvait imaginer pour l’accompagner sur scène, que ce soit à la guitare, à la mandoline ou au banjo. Avec une musique pas très complexe mais facile à interpréter, il a su inspirer des gens qui l’ont accompagné pendant plus de vingt ans.
Un fin gourmet qui roulait en Harley
Pour avoir intimement côtoyé Cayouche pendant plusieurs mois, Maurice Aubin fait une révélation au Moniteur Acadien qui renverse le mythe selon lequel le chanteur ne buvait que de la bière d’une certaine marque.
«Quand ils pensent à ce que buvait Cayouche, les gens s’imaginent que c’était seulement de l’Alpine. Or, Cayouche aimait cuisiner, bien manger et savourer un très bon vin. C’était un connaisseur.»
Il y a quinze ans, Cayouche est allé en France pour y faire une tournée en Harley-Davidson. Durant son séjour dans la région parisienne, il a visité le château de Versailles qu’il appelait «le camp à Louis XIV». Maurice André Aubin déclare que ce voyage ne fut pas facile à organiser, en raison d’une habitude nocive qu’avait le chanteur. Elle n’est pas sans rappeler un autre poète marginal du répertoire francophone : Serge Gainsbourg.
«Il fumait beaucoup, et ce fut tout un défi de l’amener en France. Il lui a fallu beaucoup de courage pour passer plus de six heures en avion sans fumer.»
Dans les dernières images du documentaire qui lui est consacré, Cayouche fredonne «mon bicycle, ma musique, c’est ça ma vie.»
Cayouche n’était pas qu’un musicien : il était une institution. Dans un monde en perpétuel changement, sa musique intemporelle restera un point d’ancrage, un rappel de l’importance de rester fidèle à soi-même. Pour ceux qui ont eu la chance de voir Cayouche en concert ou d’écouter ses albums, il reste une figure indélébile de la musique acadienne.
La relève est déjà là, même la relève de la relève. À l’image de Lucas Cay Brideau, 11 ans, un jeune garçon de la Péninsule acadienne dont il était l’idole, il y aura toujours quelqu’un pour chanter une chanson de Cayouche.