La première lecture de l’arrêté 2024-03, qui porte sur l’affichage commercial en français à Beausoleil, n’a pas fait l’unanimité au sein du conseil municipal. Il a également soulevé l’opposition de… francophones.
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Damien Dauphin
IJL – Réseau.Presse – Le Moniteur Acadien
Mardi 11 juin, lors de la réunion du conseil municipal, trois citoyens ont pris la parole pour exprimer leur désaccord face à l’adoption de cette mesure.
Bernard Richard (sans lien avec l’ancien propriétaire du Moniteur Acadien) a accusé la municipalité de vouloir s’éloigner du bilinguisme institutionnel.
«Les Acadiens sont reconnus pour parler les deux langues officielles de notre pays et de notre province. Les quartiers de notre municipalité travaillent en harmonie depuis plusieurs centaines d’années (sic) avec les deux langues officielles», a-t-il dit.
Vincent Cormier, un homme d’affaires, a excipé du fait qu’il traitait avec une clientèle anglophone et des autochtones pour justifier de son affichage en anglais.
«Je ne pense pas que ce soit le travail du conseil de protéger notre héritage et notre culture», avance-t-il.
Au contraire, le directeur général de la communauté rurale, Mathieu Gérald Caissie, est d’avis que l’arrêté est essentiel. Il en avait fait l’annonce il y a quelques semaines lors d’une conférence du Cercle acadien de la langue française, dont il est le fondateur, et qui avait pour thème les municipalités. Il avait alors déclaré au Moniteur Acadien que l’arrêté en cours de préparation visait à assurer le rayonnement du français dans les quartiers qui ont été fondés par des Acadiens.
«Le nombre d’anglophones à Beausoleil augmente, constate-t-il en s’appuyant sur les données du dernier recensement et les effets de la migration interprovinciale. Les études démontrent clairement que les affiches ont un impact très important sur la communauté, les visiteurs et les citoyens. La mesure au niveau de l’affichage commercial reflète ce qui est nécessaire pour assurer que nous demeurions francophones dans notre collectivité.»
L’arrêté n’a pas le moindre impact sur les noms des entreprises. Les affiches commerciales devront cependant être en français, ou bilingues. En cas d’affiche bilingue, le français devra occuper la première place, à gauche de l’anglais. Le lettrage devra être plus gros que l’anglais, ou de même taille.
L’AFMNB et la SANB soutiennent la municipalité
L’Association francophone des municipalités du Nouveau-Brunswick (AFMNB) soutient Beausoleil. L’AFMNB lui alloue un financement de 32 000 $ pour soutenir les entreprises à défrayer les coûts liés au changement de leur enseigne si celle-ci est unilingue ou bilingue avec prédominance de l’anglais.
À peine élue à la présidence de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB), Nicole Arseneau-Sluyter a répondu à la question du Moniteur Acadien sur ce sujet brûlant. Elle a répondu que son organisme avait déjà pris position en la matière et encourageait les municipalités francophones à prendre des mesures pour favoriser et protéger le français sur leur territoire. Comme l’a fait M. Caissie, la présidente de la SANB rappelle que statistiques démontrent que la Francophonie au Nouveau-Brunswick est à risque d’assimilation.
«C’est bien que des municipalités adoptent des politiques pour ralentir ce phénomène, soutient-elle. L’anglais n’est pas en état de disparition. C’est parfois nécessaire de prendre des positions pour protéger notre langue. Si c’est bien expliqué, les entrepreneurs vont comprendre pourquoi on veut le faire.»
Une avocate de Moncton qui demeure à Cocagne, Stéphanie Luce, souligne qu’autrefois la francophonie était plus évidente dans la région car il y avait beaucoup moins d’anglophones que maintenant. La juriste se dit contente que Beausoleil revendique sa francophonie au point de vue identitaire, et ne voit dans l’arrêté aucune atteinte aux citoyens anglophones.
«Je pense qu’il s’agit d’une initiative mesurée. C’est un bon marqueur alors que la francophonie risque de s’éroder dans la communauté. L’affichage dans l’espace public doit refléter l’identité francophone qui est un attribut communautaire à Beausoleil», juge-t-elle.
«Cela ne limite pas notre volonté à encourager nos citoyens à maîtriser les deux langues officielles au niveau individuel», renchérit Mathieu Gérald Caissie qui tient à rassurer les résidents anglophones.
Un conseiller municipal isolé
À l’exception du maire qui s’est abstenu de prendre part au vote, tous les conseillers municipaux de Beausoleil ont voté en faveur de l’arrêté, sauf un. Il n’y a pas eu de débat entre les élus, mais le conseiller général Louis Babineau a formulé quelques propos contre le projet.
Louis Babineau
«Nous avons un conseiller différent, c’est ça la démocratie», reconnaît la conseillère générale Monique Robichaud. Celle-ci considère qu’à ce stade du processus, l’arrêté n’a pas été suffisamment expliqué à la population. Évoquant les trois citoyens qui ont pris la parole devant le conseil, elle croit qu’ils «n’ont pas compris du tout, car ils pensent que nous abandonnons le bilinguisme, ce qui n’est pas le cas. Lorsque les gens auront été sensibilisés, il n’y aura aucun problème», présume-t-elle.
«Des gens ont reçu de l’information, mais visiblement ce n’était pas la bonne», ajoute sa collègue Dianna Goguen, conseillère pour le quartier de Cocagne. «Ils ne connaissent pas vraiment le dossier. Nous allons expliquer et réexpliquer. L’arrêté n’est pas coulé dans le béton, mais il y a longtemps que nous aurions dû mettre l’emphase sur la fierté française. Le public va l’accepter et s’y faire.»
Aux dires de certains de ses collègues que nous avons contactés par téléphone, le seul élu qui a voté contre l’arrêté, Louis Babineau, est coutumier du fait dès qu’il s’agit d’un dossier mis de l’avant par Mathieu Gérald Caissie. Selon leur perception, il y aurait de la jalousie entre Grande-Digue, où réside le conseiller Babineau, et Cocagne, fief du directeur général.
«Si on n’avait pas Mathieu, rien n’avancerait. Ce n’est pas tout le monde qui saurait gérer la situation», affirme Monique Robichaud qui pense, par ailleurs, que tous les conseillers municipaux de Beausoleil devraient être des conseillers généraux qui représentent tout le monde et non un quartier en particulier.
Jeudi dernier, le Moniteur Acadien a contacté Louis Babineau par courriel pour lui demander d’expliquer les raisons de son vote et s’il estimait, en tant qu’Acadien, que la défense de l'identité francophone en milieu minoritaire n'était pas nécessaire. Au moment de boucler la présente édition lundi soir, ce dernier ne nous avait toujours pas répondu.