Au lendemain d’un conseil municipal houleux et tendu qui a nécessité une présence policière, le maire de la Communauté rurale de Beausoleil a remis sa démission. Dimanche, le directeur général lui a emboîté le pas. Un sociologue de l’Université de Moncton analyse ces tensions attisées.
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Damien Dauphin
IJL – Réseau.Presse – Le Moniteur Acadien
«Suite aux événements qui se sont passés cet été dans notre municipalité et mon incapacité de régler ce conflit, je vous annonce ma démission comme maire de la communauté rurale de Beausoleil.»
C’est par ces mots que Jean Hébert, qui reconnaît ne pas se sentir à l’aise de travailler dans un environnement conflictuel et qui sème la division, a tiré sa révérence. La veille, plusieurs dizaines de personnes s’étaient présentées à la réunion ordinaire du conseil municipal pour y manifester leur opposition à l’arrêté sur l’affichage commercial.
Des entrepreneurs de la localité estiment ne pas avoir été suffisamment consultés en amont. Sur le territoire de Beausoleil, alors que les francophones forment 75% de la population, 60% des enseignes commerciales sont en anglais seulement.
Vincent Cormier, président du groupe Entreprises Beausoleil, indique que si la majorité des membres de son groupe sont d’accord avec l’arrêté, en revanche, c’est la façon dont celui-ci a été voté qui les dérange.
Entrepreneurs conformes mais opposés à l’arrêté
«Ça devrait être mon choix. La manière qu’ils l’ont fait, ce n’est plus mon choix», a déclaré Owen Newcomb, propriétaire d’ON Sports.
Le directeur général de Beausoleil, Mathieu G. Caissie, s’étonne du fait que les entrepreneurs qui regimbent contre l’arrêté ont un affichage qui est déjà en conformité avec ce qu’il stipule. «La question que nous leur posons est: êtes-vous contre le fait français ou de mettre le français? Ça semble être le cas puisque leurs affiches sont déjà conformes», observe le fonctionnaire qui a fondé le Cercle acadien de la langue française.
C’est le cas de Benoît Poirier, propriétaire de l’épicerie Variété Cocagne Variety Grocery, dont l’enseigne est conforme à ce que prévoit l’arrêté. «On n’a pas été avertis. Les propriétaires et moi on l’a seulement su une fois que c’était passé.»
Une assertion que réfute M. Caissie. « C’est de la désinformation de dire qu’on ne les a pas consultés et qu’on n’a pas discuté du sujet au préalable », rétorque-t-il en rappelant que le sujet faisait partie des consultations liées au plan directeur de la municipalité.
Mathieu Caissie démissionne à son tour
Dimanche soir, ce dernier a publié un message sur son réseau social informant de sa démission avec effet immédiat.
Francophone engagé, le directeur général de la Communauté rurale de Beausoleil est aussi le fondateur du Cercle acadien de la langue française. (Courtoisie)
« Dans le contexte d’une crise communautaire et municipale dans ma belle et dynamique région acadienne, j’ai pris la difficile décision de démissionner en tant que directeur général, greffier et trésorier du gouvernement local de Beausoleil. C’est avec un pincement au cœur et un sentiment du devoir accompli que je vous informe de ma décision effective immédiatement. »
M. Caissie précise qu’il démissionne pour aider sa communauté à recréer rapidement une meilleure unité et synergie en vue de l’intérêt général.
Faisant référence au congédiement du chef pompier il y a quelques mois, il ajoute qu’il croit que l’adoption de l’arrêté sur l’affichage commercial et sa concomitance avec «une décision réfléchie en lien avec les ressources humaines», ont réuni les conditions d’une «parfaite tempête sur les médias sociaux». Il dénonce avoir subi des attaques sans précédent envers un fonctionnaire municipal.
À Beausoleil, des voix commencent à se faire entendre pour défendre la vision endossée par la majorité des élus et les deux démissionnaires.
Léo Allain fustige les opposants qui insultent «tous ceux qui ont lutté pour nos acquis et nos droits».
«C’est incroyable qu’il faille encore lutter, mais cette fois contre des Acadiens et Acadiennes un peu trop anglicisés, et qui semblent ne pas voir loin dans le futur», s’emporte-t-il (lire son commentaire au complet dans notre rubrique Brasser la cage).
Du grain à moudre pour les anti-francophones
Mathieu Wade, professeur au département de sociologie et de criminologie de l’Université de Moncton, a rappelé à l’antenne de Radio-Canada qu’une telle controverse n’était pas nouvelle.
«C’est un débat qui remonte à un siècle. À Moncton dans les années 30, pendant la Grande Dépression, des commerçants acadiens avaient créé une émeute chez les anglophones en demandant le service en français. Ceux-ci ont appelé au boycott des commerces acadiens. Le ton était donné.»
Il y a une quinzaine d’années, une pétition avait circulé à Dieppe pour demander à la municipalité de prendre un arrêté sur l’affichage commercial. La Ville de Dieppe fut la première à le faire, mais avec des conséquences : l’initiative avait donné un regain de popularité à la Anglophone Rights Association.
«On voit qu’à chaque fois, cela crée des tensions et les groupes anti-francophones refont surface dès qu’il est question d’affichage», observe Mathieu Wade.
« L’anglais ne pose jamais problème, mais le français, si »
Le sociologue trouve qu’il est étonnant que des francophones s’opposent à l’arrêté. Il constate que, dans de nombreuses communautés de la région, les gens apprennent dès leur petite enfance que l’anglais est la langue du public et que le français est la langue privée. Dès lors, ils intériorisent un a priori selon lequel le fait de s’afficher en français risque de générer de l’hostilité.
«On veut éviter de créer des remous, on se dit que le français pose problème, mais l’anglais n’en pose pas. C’est une conséquence directe de l’affichage, d’où l’importance d’avoir de l’affichage commercial bilingue quand on a à cœur la pérennité du français. Cela envoie subtilement un message symbolique mais bien réel», avance-t-il.
Mathieu Wade estime donc que l’affichage est une manière peu coûteuse et très efficace d’arriver à l’égalité linguistique entre le français et l’anglais. Par rapport à l’affaire qui secoue Beausoleil, il juge bon de crever l’abcès.
«Si les gouvernements n’imposent rien, pourquoi est-ce que le français n’est jamais présent? Pourquoi est-ce le français qui pose problème et suscite des passions, et jamais l’anglais?», s’interroge-t-il.
Une élection complémentaire le 9 décembre ?
Le remplacement de Jean Hébert pourrait avoir lieu au plus le 9 décembre, date fixée pour les prochaines partielles des gouvernements locaux. Contacté par le Moniteur acadien, Élections Nouveau-Brunswick a précisé la procédure à suivre en la matière. La balle est dans le camp des élus.
«Lorsqu’une vacance est déclarée au sein d’un conseil municipal, le conseil doit adopter une résolution déclarant le poste vacant et envoyer une copie certifiée de la résolution à Élections Nouveau-Brunswick», a répondu Karine Pitre, agente de communication d’entreprise.
Pour que l’élection partielle à Beausoleil puisse avoir lieu le 9 décembre prochain, la copie certifiée de la résolution adoptée par le conseil devra parvenir à Élections N.-B. au plus tard le 25 octobre.