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Connaître la vérité pour panser les plaies

Victor Cormier et Jean-Paul Melanson ont tous deux été victimes des abus du père Camille Léger. Plus de trente ans après la mort du prêtre pédophile, ils estiment que la GRC et les services sociaux de l’époque n’ont pas fait correctement leur travail. Obtenir des réponses leur est nécessaire pour tourner la page sur un passé qui ne passe pas.

Victor Cormier n’est pas un homme brisé. L’esprit de résilience rayonne en lui. Bien que son enfance ait été flétrie, il a réussi sa vie. A l’aube de la soixantaine, il aimerait cependant gommer définitivement la tache qui assombrit le tableau de son histoire. Tel est le sens de la démarche qu’il a entreprise en juin 2021, quand il a excipé de la loi sur le droit à l’information pour demander des renseignements à la GRC.

« C’est quasiment comme écrire un livre, dit-il, et je suis rendu à la moitié du chemin. J’ai besoin d’autres informations pour le finir. Un dossier existe. Il y a quelque chose dans les archives, et c’est ça que je veux savoir. C’est pour ça que j’ai demandé ces documents à la GRC. »

Sa demande est restée longtemps sans réponse. Il en a finalement reçu une le 28 avril dernier. Derrière tout un jargon administratif, la GRC ne veut ni admettre ni nier l’existence d’un dossier, mais soulève deux exceptions à sa communication à M. Cormier. La première fait référence à la vie privée et à la protection des renseignements personnels.

Un signe encourageant

« Dans ces documents, il peut y avoir les noms d’autres victimes et d’autres abuseurs potentiels, des noms de compagnies d’assurances, d’avocats, de témoins… Toutes ces personnes doivent avoir donné leur consentement avant que les documents soient remis à M. Cormier », explique Paryse Suddith.

L’avocate néo-brunswickoise, directrice des Productions et Services juridiques de la Vieille Rivière, apporte son concours aux victimes de Camille Léger. Elle voit dans le courrier de la GRC un signe encourageant, la volonté de certains de ses membres de divulguer l’information tout en respectant la loi.

Coucher de soleil 1600 x 1200(Paryse Suddith, Jean-Paul Melanson et Victor Cormier. Crédit Damien Dauphin)

« La Cour suprême a été claire sur ce point : l’objectif de la loi est de rendre accessible au public l’information qui sort de nos institutions publiques. Il y a des façons de le faire pour répondre aux questions des citoyens, en respectant toutes les normes et les lois. Si une personne nommée ne consent pas à la divulgation, la GRC a quand même le pouvoir discrétionnaire de communiquer le document, en noircissant le nom de la personne concernée. »

A Cap-Pelé où il réside, bien des lieux rappellent constamment à M. Cormier, comme un point noir dans l’estomac, les événements qu’il a connus jusqu’à son entrée dans l’adolescence. Des lieux comme l’aréna, qui portait le nom de Camille Léger et fut débaptisé pour en être dissocié. Il croit en la coopération de la police, et fait appel à sa bonne volonté.

« On n’est pas contre la GRC, il y a de bons agents. Autrefois, il y en a qui ont failli. Il se sont mis la tête dans le sable et n’ont pas protégé les enfants. Là où on est rendus aujourd’hui, je pense qu’ils vont nous aider et rouvrir le dossier, et nous parler comme des adultes », espère-t-il.

Protéger les enfants

Jean-Paul Melanson a lui aussi déposé une demande similaire à celle de Victor Cormier. A l’âge de trois ans, il a été placé en famille d’accueil après avoir transité par 9 maisons. Il dépendait alors des services sociaux de la province, et estime ne pas avoir été protégé par les autorités. Il est convaincu que les travailleurs sociaux auraient dû discerner l’abus dont il était victime. Aucun ne lui a posé de questions en ce sens. Pourtant, des indices auraient pu leur mettre la puce à l’oreille, comme son dossier scolaire.

Victor et Jean Paul 1600 x 1200

(Victor Cormier et Jean-Paul Melanson veulent obtenir des réponses à leurs questions. Crédit : Damien Dauphin)


« Je m’en souviens comme si c’était hier. Mes notes avaient baissé, et la maîtresse avait mis des mentions dans la marge pour demander qu’est-ce qui se passe. Y’a rien qui a été fait. On était sur la même structure que les enfants des pensionnats autochtones », raconte-t-il.

M. Melanson déclare que le système était défaillant, et que rien n’a changé sur ce point aujourd’hui. Tous trois sont d’avis qu’il faudrait que la province alloue davantage de ressources humaines et financières aux services sociaux, et développe des mécanismes et des formations pour que les agents sachent détecter les cas d’abus.

Victor Cormier et Jean-Paul Melanson sont déterminés à aller au bout du processus qu’ils ont initié. Paryse Suddith considère que la vérité, sur ce que savaient les agents de la GRC entre 1959 et 1982, doit sortir pour panser les plaies et les refermer.

« La guérison viendra aussi quand des changements surviendront, quand il y aura des mécanismes pour corriger les affaires de pédophilie, pour que plus jamais ça se produise », conclut-elle.


Damien Dauphin

IJL – Réseau.Presse – Le Moniteur Acadien