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Charles III : un roi de transition, mais laquelle ?
Si la défunte reine Élisabeth II est le monarque ayant le plus longtemps régné sur les îles britanniques, son fils Charles est le détenteur d’un autre record. Jamais un héritier présomptif de souverain ne fut prince de Galles aussi longtemps que lui. Désormais connu comme Charles III, le nouveau roi doit imprimer sa marque.
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Damien Dauphin
IJL – Réseau.Presse – Le Moniteur Acadien
C’est à son arrière-arrière-grand-père Édouard VII que pensent de nombreux commentateurs de la royauté lorsqu’ils évoquent Charles III. Sa dernière maîtresse, Alice Keppel (née Edmonstone) n’était-elle pas la propre arrière-arrière-grand-mère de la reine Camilla ?
Albert, « Bertie » de son diminutif, avait voulu rompre avec l’ère baptisée du nom de sa mère, la reine Victoria. Plutôt que d’utiliser son premier prénom, qui était aussi celui de son père, il choisit le deuxième pour son règne. Depuis l’éphémère fils du roi Henri VIII et de Jane Seymour, aucun roi d’Angleterre n’avait porté le prénom Édouard. Le septième du nom, sur lequel les fameux bookmakers ne pariaient pas cher, a pourtant défini une période. À l’ère victorienne, synonyme d’austérité sépulcrale et de rigueur morale mâtinée d’hypocrisie, succéda la période édouardienne que, de nos jours, on qualifierait de « cool ».
Édouard VII, le roi que personne n’attendait, se révéla brillant diplomate. Il fut notamment le père de « l’Entente cordiale » qui rapprocha l’Angleterre de sa rivale héréditaire, la France. Si Victoria fut « la grand-mère de l’Europe », Édouard VII en fut le « tonton ». Lui seul pouvait avoir un certain ascendant sur l’aîné de ses neveux, le turbulent Guillaume II, roi de Prusse et empereur allemand. Son oncle Édouard disparu, le kaiser n’eut finalement plus la bride sur le cou. La Première Guerre mondiale était en germe.
De la même manière, Charles III est lui aussi le roi que l’on n’attendait pas. L’on pourrait même dire, « n’espérait pas ». Que peut-on attendre d’un homme de 73 ans qui, à l’âge où ses contemporains savourent leur retraite après une vie de labeur, accède finalement à la fonction pour laquelle il fut préparé toute sa vie ? La réponse serait : tout et rien à la fois.
La monarchie est un organe vivant en constante mutation. Bien qu’ancrée dans le passé, elle est la gardienne du présent et la garante de l’avenir. À ce titre, elle s’adapte constamment à son époque. La fonction royale telle qu’Élisabeth II l’incarna au gré de multiples bouleversements sociaux, politiques et sociétaux, n’avait pas grand-chose en commun avec celle de son ancêtre Victoria. Elle-même ne régnait pas de la même manière que la première reine Élisabeth, que cinq siècles séparaient de Guillaume le Conquérant.
À cet égard, on peut dire qu’Élisabeth II fut elle aussi une reine de transition. Sa grand-mère Mary de Teck, qui guida ses premiers pas, était une créature de l’époque victorienne. Élisabeth vécut le premier couronnement télévisé, la décolonisation, la révolution sexuelle, la conquête spatiale, l’immixtion croissante des médias dans la sphère privée, la monarchie-spectacle, et se vit même représentée sur petit et grand écran.
Il semble que 2022 et 1952 n’appartiennent pas au même monde. Avec sa mort, une page se tourne et la deuxième ère élisabéthaine prend fin. D’ailleurs, il y aurait toute une analyse à faire autour du nombre 70. De 1154 à 1214, l’empire Plantagenêt a duré 70 ans. Idem pour l’empire des Indes (1877-1947). Une révolution est en marche, mais de quoi sera-t-elle faite ?
Un roi proche de son peuple
De retour à Londres, le premier bain de foule du nouveau monarque a démontré sa proximité avec les gens. Celui qui fut un petit garçon timide qui se sentait délaissé par ses parents happés par leurs fonctions officielles, celui qui s’est longtemps senti mal-aimé tandis que le monde adulait sa première épouse, a enfin découvert l’affection populaire. Il s’est laissé embrasser sur la joue par une dame débordante de spontanéité. Nul n’aurait jamais osé embrasser sa mère.
Aux Pays-Bas, le roi Guillaume Alexandre a décidé au début de l’année de remiser ses carrosses indéfiniment. Charles III va-t-il réduire la pompe et le décorum royaux ? Pour un monarque avant-gardiste qui se pique d’écologie, mettre à la retraite des chevaux au profit de Rolls-Royce énergivores serait paradoxal. Il se murmure qu’il va réduire la taille de la famille royale, et peut-être même son train de vie. Les temps sont difficiles et rien ne lui interdit de se mettre au diapason de la population touchée par la crise économique et l’inflation. Georges V était lui-même très économe.
Sera-t-il chef de l’Église anglicane et « Défenseur de la foi » ? Son couronnement, prévu l’année prochaine, en dira long sur ses intentions et sur sa vision. Inclusif, il devrait logiquement accorder une place aux autres spiritualités. De même, épouser une personne catholique ne devrait plus priver l’un ou l’autre de ses nombreux parents de son rang dans l’ordre de succession. Au Canada, ses convictions environnementales et multiculturelles devraient résonner auprès de la population.
La reine Victoria « engueulait » souvent ses Premiers ministres qui devaient subir ses sautes d’humeur. Autrefois connu pour des prises de position détonantes, Charles III se mêlera-t-il davantage des affaires publiques et n’hésitera-t-il pas à faire connaître son opinion comme bon lui semble, ou imitera-t-il sa mère et son inébranlable devoir de réserve ? L’avenir le dira très vite, mais son premier discours semble indiquer qu’il va prudemment chausser les pantoufles d’Élisabeth II.
« Comme la Reine elle-même l'a fait avec une dévotion si inébranlable, je m'engage moi aussi solennellement, pendant le temps qu'il me reste à vivre, à défendre les principes constitutionnels qui sont au cœur de notre nation. (…) Je m'efforcerai de vous servir avec loyauté, respect et amour, comme je l'ai fait tout au long de ma vie. »
Que son règne dure 10, 15 ou 20 ans, et s’achève avec sa vie ou une éventuelle abdication qui ne serait peut-être plus taboue, Charles III pourrait bien surprendre son peuple et le monde, comme Édouard VII le fit avant lui.