La circonscription de Baie-de-Shediac-Dieppe est le théâtre d’une joute électorale unique. Il y a six ans, Robert Gauvin devenait le vice-premier ministre progressiste-conservateur de Blaine Higgs. De son côté, René Éphestion aspirait à prendre la succession de Brian Gallant à la tête du Parti libéral. Depuis, l’un et l’autre ont changé de couleur politique.
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Damien Dauphin
IJL – Réseau.Presse – Le Moniteur Acadien
René Éphestion a le virus de la politique. Ses ambitions en la matière ne sont pas nouvelles. Il avait disparu pendant quelques temps des écrans radars mais, alors que la campagne électorale débute officiellement jeudi, il fait un retour d’autant plus fracassant qu’il a changé de camp.
Shane Steeves et sa mère Margaret, de Shediac Cape, écoutent attentivement leur nouveau champion. (Photo : Damien Dauphin)
«C’est avec beaucoup de respect et une réelle humilité que j’accepte de porter les valeurs progressistes-conservatrices dans la circonscription de Baie-de-Shediac-Dieppe», a-t-il dit mardi 10 septembre aux militants réunis au Repaire jeunesse de Dieppe pour son investiture.
Guillaume Loucheux, qui a proposé sa candidature, a fait l’éloge de celui qui est son voisin, son ami et aussi son compatriote d’origine française, comme lui.
«Ce qui m’a toujours impressionné chez René, c’est son engagement sincère envers les autres. Que ce soit dans un cadre professionnel ou familial, c’est quelqu’un de dévoué et de fiable, capable d’écouter les autres et de comprendre les différents points de vue. Je pense qu’il fera un excellent représentant pour la circonscription.»
Shane Steeves a appuyé la proposition. Sa mère, Margaret Steeves, préside l’association de circonscription progressiste-conservatrice de Baie-de-Shediac-Dieppe. Elle sait que le défi est immense mais croit en son candidat. «Ça va être dur, mais nous allons faire campagne jusqu’à la dernière minute pour convaincre les gens de voter pour lui.»
Deux précédentes candidatures
Si le nom de René Éphestion n’est pas inconnu du grand public, c’est parce que suite aux élections de 2018 qui ont vu la défaite sans appel des troupes de Brian Gallant, il fut le premier à faire acte de candidature pour lui succéder à la tête du Parti libéral. Le pari était audacieux car, à l’époque, il n’était pas encore citoyen canadien. Quelques mois plus tard, les pontes du parti lui ont demandé de retirer sa candidature pour faire place à Kevin Vickers. Rappelons que si ce dernier fut élu chef par acclamation, il n’a pas réussi à conduire ses troupes à la victoire en 2020, ni même à se faire élire chez lui, à Miramichi.
Il y a quatre ans, René Éphestion aurait aimé être le candidat libéral dans Baie-de-Shediac-Dieppe, mais les dirigeants libéraux lui ont demandé de se présenter ailleurs afin de laisser le terrain à nul autre que Robert Gauvin, alors transfuge du Parti progressiste-conservateur.
Candidat libéral dans la circonscription de Moncton-Sud-Ouest, depuis lors abolie par le redécoupage électoral, René Éphestion avait recueilli 22,12% des suffrages face à la conservatrice Sherry Wilson (52,12%). Alors que celle-ci tentera de retrouver son siège à Fredericton mais dorénavant dans la circonscription d’Albert-Riverview laissée vacante par le départ de Mike Holland, les voici réunis sous la même bannière.
Déçu et blessé par l’élite libérale
René Éphestion reconnaît que le public a le droit de s’interroger sur ce changement d’allégeance. Le Canadien d’origine française s’est toujours considéré comme un homme de centre-droit. Cette fluidité permet de se reconnaître aussi bien dans les valeurs libérales que progressistes-conservatrices. À cet égard, sur le plan de la responsabilité fiscale, il se sent beaucoup plus en phase avec le programme du parti bleu.
En réalité, la rupture de ban avec sa précédente famille politique a des racines plus personnelles, même s’il déclare ne nourrir à cet égard aucun sentiment de revanche.
«J’ai reçu certaines remarques, de la part de l’élite du Parti libéral, qui m’ont frustré et blessé », avoue-t-il sans la moindre gêne. Une manière de dire que, peut-être, il ne s’y était pas senti le bienvenu comme Canadien d’origine française et membre d’une minorité visible.
En quittant l’étendard rouge, il pensait laisser la politique derrière lui. C’est Kassim Doumbia, le maire de Shippagan, qui lui a fait prendre conscience qu’il n’était pas dans la famille politique qui lui convenait.
«Dès que j’ai entrepris cette démarche chez les progressistes-conservateurs, j’ai été immédiatement accepté comme je ne l’avais jamais été chez les libéraux», a-t-il confié au Moniteur acadien.
Après avoir franchi le Rubicon dans le sens inverse du député sortant qu’il compte affronter dans le cadre d’une campagne respectueuse axée sur les programmes, M. Éphestion se dit aligné sur la politique économique de Blaine Higgs pour assurer la prospérité et investir dans la santé et l’éducation. S’il est conservateur sur le plan fiscal, le candidat se dit progressiste à d’autres niveaux.
«Je viens de la France. On ne peut pas dire que c’est un pays rétrograde. Je suis progressiste sur le plan social.»
Comme Margaret Steeves qui l’a adoubé à bras ouvert, il sait que la partie ne sera pas facile pour lui. Il compte labourer le terrain sans relâche pour convaincre l’électorat de lui faire confiance.
Une conjointe dont le cœur est écolo
Si les conditions propices à son élection ne sont peut-être pas encore réunies, il défend une approche lente et sérieuse et un ancrage sur le moyen et le long terme. Le candidat Éphestion pense que la croissance démographique peut lui donner un coup de pouce.
«Les libéraux ont tendance à prendre les francophones pour acquis, et ça sera de moins en moins le cas. La population change, les gens viennent ici de partout, d’autres provinces, d’autres pays. Plus ce mélange va se faire et une nouvelle génération va arriver, plus on jugera les gens sur les compétences et leur expertise plutôt que sur leur nom de famille», espère-t-il.
Détail piquant : Claire, son épouse, penche depuis toujours pour le Parti vert. Elle n’est pas autant passionnée par la politique que son mari, mais elle compte le soutenir dès lors que tous deux sont d’accord pour être en désaccord.
«Nous ne sommes pas toujours d’accord sur tout, mais nous aimons bien les débats. Malgré tout, nous partageons les mêmes valeurs. Je vais le soutenir, parce que je crois en lui», a-t-elle confié dans la foulée de l’investiture de son mari.
C’est au nom de leurs valeurs communes que pendant la pandémie elle l’a laissé partir effectuer deux missions de bénévolat en Afrique subsaharienne, sous l’égide de Médecins sans frontières.
«René sait ce qu’il veut et sait comment s’y rendre en agissant avec pragmatisme. Il est là pour faire bouger les choses et pas seulement pour faire des promesses», a affirmé Guillaume Loucheux.
Une campagne électorale inédite et exceptionnelle entre un ancien conservateur devenu libéral et un ancien libéral devenu conservateur peut commencer.
À la une : René Éphestion entouré du ministre Réjean Savoie et de Margaret Steeves.
L’OPINION D’UN ANCIEN CANDIDAT ISSU DE L’IMMIGRATION
Les troupes de Blaine Higgs ont déjà présenté un candidat issu de la diversité culturelle dans la circonscription plutôt libérale de Baie-de-Shediac-Dieppe. En octobre 2018, Paulin Blaise Ngweth n’avait remporté que 14,74% des voix face à nul autre que le premier ministre sortant, Brian Gallant (67,08%).
À l’époque, il avait fait campagne pendant trois mois. Il ne pense pas que les cinq semaines qui séparent l’investiture de René Éphestion du jour du scrutin puissent faire une différence. «Je ne crois pas que ça va changer la donne. Pour gagner, il faut faire un gros boulot. Je ne suis pas arrivé du jour au lendemain : j’ai fait mes classes et du bénévolat, les gens me connaissaient, mais cela n’a pas suffi », a dit celui qui a écrit deux livres : « New Brunswick is brain dead : a coma around the corner » et « Stop saying, start doing », dans lesquels il aborde les enjeux politiques et économiques de la province.
Dire que Paulin Blaise est désenchanté par le pays politique de la province dans laquelle il réside depuis près de 20 ans relève de l’euphémisme. S’il croit que le Parti progressiste-conservateur n’attire plus les gens, il égratigne au passage la cheffe libérale et doute de ses chances de parvenir au pouvoir le mois prochain.
Paulin Blaise était le candidat progressiste-conservateur en 2018 face au premier ministre sortant et député de Baie-de-Shediac-Dieppe, Brian Gallant. (Courtoisie)
«Susan Holt n’est pas Kamala Harris, c’est un copié-collé de Brian Gallant. On ne la connaît pas et elle dit des choses en l’air. Ce qui importe aux gens, c’est le B.A.-BA : un logement, de quoi manger, le pouvoir d’achat face à l’inflation», diagnostique l’essayiste.
Paulin Blaise plaide pour un renouveau de la vie politique et la création d’un nouveau parti dans lequel les nouveaux arrivants se reconnaîtraient davantage qu’en ceux qui se partagent le pouvoir en alternance.
«Les personnalités politiques doivent passer de la parole aux actes pour inclure les gens de la diversité. Le parti qui sera capable de transcender les cultures va tuer les autres partis», a-t-il affirmé.
LE PARTI PROGRESSISTE-CONSERVATEUR A INVESTI CINQ CANDIDATS PAR VISIOCONFÉRENCE
Au lendemain de l’investiture en présentiel de René Éphestion, c’est virtuellement que le PCNB a procédé à une vague de nominations de candidats dans la région.
Ann Bastarache affrontera le libéral Benoît Bourque dans Beausoleil-Grand Bouctouche-Kent. Bruce Phillips se mesurera à la députée verte Megan Mitton dans Tantramar. À Dieppe-Memramcook, c’est Dean Léonard qui défendra ses couleurs contre Natacha Vautour (PL) et Jacques Giguère (PV).
Daniel Allain, l’ancien ministre Claude Williams et le candidat Ricky Gautreau. (Photo : Damien Dauphin)
L’ancien maire de Saint-Antoine, Ricky Gautreau, est le candidat progressiste-conservateur dans la nouvelle circonscription de Champdoré-Irishtown. Il en avait fait l’annonce publique plus tôt en matinée lors du premier coup de pelle de la construction d’un nouveau foyer de soins dans sa municipalité.
Le cinquième candidat investi est J.P. Lanteigne à Caraquet, dans la Péninsule acadienne. Au moment où nous mettions sous presse, le PCNB n’avait toujours pas annoncé de candidat dans la circonscription de Shediac-Cap-Acadie.