La deuxième conférence du Cercle acadien de la langue française, lancé à l’Université de Moncton l’automne dernier, s’est tenue à Caraquet la semaine passée. Le président-fondateur du Cercle, Mathieu Gérald Caissie, en était lui-même le conférencier. Son thème : le rayonnement de la langue française par l’intermédiaire de l’affichage commercial et public au niveau local.
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Damien Dauphin
IJL – Réseau.Presse – Le Moniteur Acadien
«Le Cercle acadien de la langue française veut faire rayonner la langue française dans les communautés acadiennes, surtout les collectivités historiques où les Acadiens et les Acadiennes ont toujours été majoritaires. Il faut que le fait français y soit prédominant.»
(Mathieu Gérald Caissie invite le conseil municipal de Caraquet à adopter une signalétique unilingue en français. Crédit : Damien Dauphin)
Ce n’est pas un hasard si Mathieu Gérald Caissie, passionné de langue française depuis son plus jeune âge, a choisi la Péninsule acadienne pour y tenir la deuxième conférence du Cercle dont il est le fondateur.
«La langue française rayonne à Caraquet, et la capitale de l’Acadie est l’un des meilleurs exemples en Acadie pour le fait français dans l’affichage commercial et public», précise-t-il d’entrée de jeu.
Selon celui qui est aussi le directeur municipal de la Communauté rurale de Beausoleil, dans le comté de Kent, Caraquet frôle la perfection. À son avis, la ville de feu Martin Légère n’a plus qu’une seule chose à faire pour devenir le chef de file en matière de signalétique unilingue francophone : imiter le Québec pour que ses panneaux de signalisation n’indiquent que « arrêt », en français seulement.
Pour appuyer son propos, il cite des municipalités majoritairement anglophones comme Quispamsis, Hampton et Riverview dans le Grand Moncton, qui ne se gênent pas pour n’afficher que le mot anglais «stop».
(La ville de Riverview, qui n’est pas une cité assujettie à l’article 35 de la LLONB, a une signalétique unilingue anglophone. Crédit : Damien Dauphin)
Le conseil municipal de Caraquet, représenté par son maire Bernard Thériault, son directeur général Marc Duguay et la conseillère Louise Blanchard, devrait prêter une oreille attentive à cette revendication. Arrivant tout juste d’une rencontre avec son voisin, dont la particularité est d’être le dernier anglophone né à Caraquet, M. Thériault s’est montré ouvert à cette idée qu’il a qualifiée de «très inspirante».
(Le Cercle a acheté aux enchères un maillot aux couleurs arc-en-ciel porté par le joueur de hockey Laurent Dauphin. Mathieu Gérald Caissie l’a remis à Bernard Thériault pour qu’il en fasse don à Acadie Love. Crédit : Damien Dauphin)
«Je pense qu’on est à un point tournant dans cet exercice-là. Je suis inquiet de voir qu’il y a des choses qui se produisent et qui pourraient indiquer que, peut-être, on n’est pas à l’abri de toutes sortes de problèmes. Si on peut servir comme wagon de tête dans un débat quelconque, je pense que le conseil municipal serait définitivement prêt à jouer ce rôle dans une législation. C’est mieux de le faire tout de suite que dans 20 ans. Personne ne pensait il y a dix ans qu’il y aurait un problème à Cocagne. Et là, tous les gens dans le Sud-Est nous disent que l’augmentation des populations est majoritairement anglophone», a indiqué le maire de Caraquet.
Affichage commercial : l’exemple de Kedgwick
S’agissant de l’affichage commercial, Mathieu Gérald Caissie a cité deux arrêtés qui le réglementent en faveur du fait français. Le premier se veut bilingue et découle d’une campagne menée il y a une dizaine d’années par l’avocat Martin LeBlanc Rioux. Adopté le 10 novembre 2014, l’arrêté no Z-22 encadre l’affichage commercial extérieur à Dieppe. Le bilinguisme y est obligatoire, et le lettrage dans les deux langues officielles doit être identique mais le français a préséance et doit être mentionné en premier, soit au-dessus de l’anglais, soit à gauche.
À Dieppe, M. Caissie a relevé des affichages qu’il a qualifiés d’anomalies dans le paysage linguistique de cette communauté. Photos à l’appui, il a regretté que dans la ville la plus francophone de la circonscription de la ministre fédérale des Langues officielles, les autres paliers de gouvernement étaient en contradiction avec l’arrêté Z-22. L’arrêté municipal n’a pas force exécutoire sur ces institutions gouvernementales. Il s’agit nommément du bureau de recrutement des Forces armées canadiennes et de celui de Travail Nouveau-Brunswick qui, tous deux, accordent la prépondérance à l’anglais.
La Communauté rurale de Kedgwick, quant à elle, est allée beaucoup plus loin le 21 mars dernier en adoptant l’arrêté 26-2023 qui ne force pas le bilinguisme, mais impose la primauté du français sur toute autre langue. À commencer par l’anglais dont l’emploi, à défaut d’être obligatoire, n’est pas interdit mais ne peut en aucun cas prendre le pas sur le français. Mathieu Gérald Caissie considère cet arrêté municipal comme étant «exemplaire».
«À Dieppe, l’arrêté favorise le bilinguisme et donne la priorité au français, mais à Kedgwick, l’arrêté favorise le français, ce qui est une nuance importante», soutient M. Caissie qui estime dans le même élan que la Ville de Moncton devrait, au minimum, suivre l’exemple de l’arrêté actuel de la ville de Dieppe. Il a indiqué au Moniteur Acadien, seul organe de presse présent à la conférence, que Tracadie se penchait sur l’adoption d’un arrêté similaire à celui de Kedgwick.
«Atholville en avait un mais depuis la réforme municipale, le village fait partie de la Cité de Campbellton dont on ignore si le conseil envisage de reprendre l’arrêté à son compte.»
(On reconnaît dans le public le maire de Caraquet, Bernard Thériault, derrière son frère Daniel; Marc Duguay, Claude Landry, Normand Thériault, Louise Blanchard et l’ancien maire Kevin Haché. Crédit : Damien Dauphin)
Une Acadie unilingue en français
Par ailleurs, le président du Cercle acadien de la langue française n’a pas fait mystère de son intention de faire du lobbying pour que les municipalités acadiennes qui gèrent leurs routes, n’ont pas le statut de cité et ne sont pas soumises à l’article 35 de la loi provinciale sur les langues officielles, affichent leur unilinguisme francophone dans leur signalisation routière.
(Sur l’écran, quelques recommandations du Cercle acadien de la langue française aux municipalités acadiennes. Crédit : Damien Dauphin)
«Malheureusement, partout où la municipalité ne contrôle pas la gestion des routes (c’est une compétence du ministère des Transports et de l’Infrastructure), l’anglais est toujours par-dessus le français ou à gauche, c’est-à-dire qu’il prédomine. On aimerait que dans les régions où les Acadiens sont majoritaires, ce soit le français pour que notre paysage linguistique reflète que nous sommes dans une région francophone.»
À cet égard, il a mentionné le panneau qui, sur la route 11, indique une sortie vers la «Rue Industrial Street» à Dieppe. Il se demande pourquoi la municipalité qui se targue d’être la plus grande ville francophone d’Amérique du Nord à l’extérieur du Québec a cru bon donner un nom anglophone à une rue.
«Si la Ville de Dieppe décidait de la renommer, par exemple en rue Industrielle, rue Jacques-LeBlanc ou Nouvelle-Acadie, ce serait plus conforme à son statut de cité acadienne et francophone, et le ministère des Transports serait dans l’obligation de changer ce panneau», précise-t-il.
Selon M. Caissie, le gouvernement provincial devrait modifier sa politique sur l’affichage pour forcer le ministère des Transports à ce que le français soit prédominant dans les régions acadiennes et francophones. Il considère que le gouvernement est à l’écoute, étant déjà en réflexion sur cet enjeu majeur qui découle d’une recommandation de la commissaire aux langues officielles et de la SANB. Il indique également que dans sa communauté de Beausoleil, une réflexion est en cours pour renommer le «chemin Cocagne Cross road».
(La conseillère Louise Blanchard, cofondatrice du Parti Acadien au début des années 70. Derrière elle, Pierre Boudreau, de Beresford (Belle-Baie) qui a invité M. Caissie à y donner sa conférence. Crédit : Damien Dauphin)
«Actuellement, la loi sur les langues officielles permet aux municipalités acadiennes de légiférer au niveau de la langue d’affichage commercial, ce qui est le meilleur mécanisme pour changer le paysage linguistique et assurer qu’il soit en français. Il faut utiliser les outils que nous possédons déjà et les mécanismes sont là.»
Lors de la conférence, Mathieu Gérald Caissie semble avoir conquis son auditoire. Présent dans le public jeudi dernier, Pierre Boudreau, un citoyen originaire de Beresford, l’a invité à donner sa conférence à Belle-Baie. D’autres municipalités acadiennes du Nord de la province pourraient lui emboîter le pas. En attendant, celui qui a représenté le Nouveau-Brunswick à l’ambassade de France et auprès des instances de la Francophonie internationale planifie la rééditer à Dieppe.